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Des étudiants d’AgroParisTech s’opposent à l’agro-industrie

Alors que c’était le jour de la remise de leur diplôme, le 10 mai 2022, 8 étudiants ont prononcé un discours retentissant. Ils ont appelé à déserter le système agricole productiviste et mondialisé actuel et à « bifurquer ».

 

Après trois ou quatre années d’études, les membres du collectif des « agros qui bifurquent » ont déclaré « ne pas vouloir faire mine d’être fiers et méritants d’obtenir ce diplôme à l’issue d’une formation qui pousse globalement à participer aux ravages sociaux et écologiques en cours ».

◆ Ne plus participer à un système destructeur

Ces jeunes diplômés affirment que « l’agro-industrie mène une guerre au vivant et à la paysannerie partout sur Terre ». Ils ne croient « ni au développement durable, ni à la croissance verte, ni à la transition écologique, une expression qui sous-entend que la société pourra devenir soutenable sans qu’on se débarrasse de l’ordre social dominant ».

Leur regard radical n’a pas non plus épargné leur lieu de formation : « AgroParisTech forme chaque année des centaines d’élèves à travailler pour l’industrie de diverses manières : trafiquer en labo des plantes pour des multinationales qui renforcent l’asservissement des agricultrices et des agriculteurs, concevoir des plats préparés et des chimiothérapies pour soigner ensuite les maladies causées, inventer des labels “bonne conscience” pour permettre aux cadres de se croire héroïques en mangeant mieux que les autres, développer des énergies dites “vertes” qui permettent d’accélérer la numérisation de la société tout en polluant et en exploitant à l’autre bout du monde, pondre des rapports RSE d’autant plus longs et délirants que les crimes qu’ils masquent sont scandaleux, ou encore compter des grenouilles et des papillons pour que les bétonneurs puissent les faire disparaître légalement.

À nos yeux, ces jobs sont destructeurs et les choisir c’est nuire, en servant les intérêts de quelques-uns.

C’est pourtant ces débouchés qui nous ont été présentés tout au long de notre cursus à AgroParisTech. »


◆ Aller vers ce qui nous inspire

Les étudiants ne se sont pas contentés de dépeindre un tableau noir du système. Ils ont ouvert également la porte des possibles que certains ont déjà franchie : « Ici et là, nous avons rencontré des personnes qui expérimentent d’autres modes de vies, qui se réapproprient des savoirs et savoir-faire pour ne plus dépendre du monopole d’industries polluantes. Des personnes qui comprennent leur territoire pour vivre de lui sans l’épuiser, qui luttent activement contre des projets nuisibles, qui pratiquent au quotidien une écologie populaire, décoloniale et féministe. Qui retrouvent le temps de vivre bien et de prendre soin les uns et les unes des autres. »

Ils sont persuadés que ces façons de vivre nous rendront plus heureux, forts et épanouies. Ils nous incitent à ne plus perdre notre temps et à « laisser filer cette énergie qui bout quelque part en nous ». Ils veulent pouvoir se regarder en face demain et soutenir le regard de leurs enfants.

◆ Changer de trajectoire et de destination

Les étudiants ne font pas dans la demi-mesure : « Désertons avant d’être coincés par des obligations financières. N’attendons pas que nos mômes nous réclament des sous pour faire du shopping dans le Métavers, parce que nous aurons manqué de temps pour les faire rêver à autre chose. N’attendons pas d’être incapables d’autre chose qu’une pseudo-reconversion dans le même taf, mais repeint en vert. N’attendons pas le 12e rapport du GIEC qui démontrera que les États et les multinationales n’ont jamais fait qu’aggraver les problèmes et qui placera ses derniers espoirs dans les révoltes populaires. Vous pouvez bifurquer maintenant. Commencer une formation de paysan-boulanger. Partir pour quelques mois de wwoofing. Participer à un chantier dans une ZAD ou ailleurs. Rejoindre un week-end de lutte avec les Soulèvements de la Terre, S’investir dans un atelier de vélo participatif. Ça peut commencer comme ça. »

« À vous de trouver vos manières de bifurquer. »


◆ Une école qui ne cille pas

Suite à la polémique engendrée par ce discours percutant, l’école d’ingénieurs AgroParisTech a réagi via un communiqué de presse et se dit ne pas être surprise « par la diversité des points de vue exprimés au cours d’une cérémonie qui a duré 3 heures, car ils traduisent l’ampleur des controverses engendrées par les thématiques qu’enseigne AgroParisTech ». Elle poursuit : « Parmi nos diplômés, certains travaillent dans la recherche, dans des coopératives agricoles, d’autres s’installent comme exploitants agricoles, rejoignent des entreprises agro-alimentaires de toutes tailles, d’autres encore créent des startup, déploient des politiques publiques au service des transitions, s’investissent professionnellement dans les domaines de la santé et de la nutrition humaine, gèrent et protègent les milieux naturels et forestiers ou travaillent à la valorisation de la biomasse.

Cette cérémonie, préparée par nos diplômés, a montré que notre établissement remplissait sa mission : aider nos étudiants à choisir le sens qu’ils souhaitent donner à leurs études et à leur parcours professionnel. L’intervention de ces 8 diplômés, comme celles – plus nombreuses – de leurs camarades qui ont choisi d’autres voies, confirme que l’enseignement d’AgroParisTech s’inscrit au cœur des enjeux et débats qui traversent notre société. C’est aujourd’hui plus vrai que jamais. »

Pour le professeur Marc-André Selosse, qui enseigne à AgroParisTech et qui a été interviewé par Sciences et Avenir, ces jeunes sont « clairement l’expression paroxystique d’une génération inquiète, où la fraction de ceux qui sont décidés à bouger a grandi ».

 

👉Pour visionner le discours dans son intégralité (sous-titré en anglais, allemand et espagnol) :

👉Pour le lire : https://universiteouverte.org/2022/05/12/des-agros-qui-bifurquent-le-discours/

👉Pour contacter le collectif « Des agros qui bifurquent » : agros.bifurquent@protonmail.com

 

Article par Estelle Brattesani
Image principale tirée des images du discours sur Youtube

 

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