Billet d'humeur

« L’épineuse question des financements pour une association », par Julien Wosnizta

À l’aube du troisième anniversaire de Wings of the Ocean, son fondateur Julien Wosnitza a souhaité faire un petit constat sur les financements de cette association dont la mission cruciale est de dépolluer les mers et océans. L’occasion de pouvoir partager ce que cela représente comme implication en temps et en énergie, et de réfléchir ensemble sur les potentielles sources de revenus, si difficiles à obtenir, surtout lorsqu’ils sont à 100% éthiques.

Dans un billet d’humeur précédent, Julien Wosnizta nous confiait à quel point il trouvait absurde qu’on soit rémunéré pour détruire, et bénévole pour restaurer. Aujourd’hui, il nous fait part des difficultés concrètes que son association rencontre pour réunir des fonds.

Aujourd’hui, une association a globalement quatre sources de financements : les financements publics, les fondations, les dons grands publics et le mécénat (privé et d’entreprise). Voyons ce qu’il en est de Wings of the Ocean et surtout de ce que chaque source de financement implique.

Le point à considérer également, c’est que je suis seul depuis trois ans pour chercher ces fonds.

◆ Un point sur la situation de notre association

Le budget de Wings of the Ocean pour 2021 est de 650.000 euros.

Avec cette somme, nous avons pour objectif d’opérer trois navires (Le Kraken 12 mois, le Saint Amour 7 mois, et l’Amadeus 2 mois et demi), de créer des antennes locales sur tout le territoire français, de sécuriser quelques postes clés, d’accentuer le lobbying bienveillant vis-à-vis des entreprises et des collectivités, d’entretenir les navires, etc. Bref, d’organiser au minimum 200 opérations de dépollution dans l’année, avec une petite centaine de personnes sur nos bateaux.

Les bateaux, qui sont nos logements et nous permettent d’effectuer des dépollutions avec une forte récurrence (chaque bateau organise 4 à 5 dépollutions par semaine hors période de travaux), sont aussi des gouffres financiers.

Il faut payer l’entretien, mais également la nourriture des bénévoles, l’assurance, le gasoil, la mise aux normes constante, la dotation médicale et de sécurité, les radeaux de sauvetage, les différents abonnements pour la navigation, la sortie de l’eau annuelle… Sans compter que nous allons bientôt devoir changer notre jeu de voiles, car il fatigue grandement (environ 100.000 euros pour un jeu de voiles complets sur le Kraken).

Les bateaux utilisés par Wings of the Ocean sont des vieux gréements qui permettent d’attirer énormément l’attention aux ports sur la cause défendue, et surtout de sensibiliser les publics lors de visites aux ports. Sans compter bien entendu l’aspect logement et réfectoire, important pour permettre aux bénévoles de dépolluer régulièrement et sur le long terme.

Pour pouvoir couvrir tous ces frais, il nous faut trouver des fonds.

◆ Financements publics et Fondations

Il faut savoir que chaque demande de financement institutionnel prend un temps fou, demande à chaque fois une implication en amont de notre part pour absolument tout présenter, que ce soit les comptes de l’association, les différents papiers, les assurances, les objectifs chiffrés, etc. Et tout ceci sans aucune assurance de bénéficier du montant défini, voire même d’un montant tout court.

Les prises de décision se font souvent par des « conseils » de plusieurs personnes qui se retrouvent deux à trois fois par an, et il n’est pas rare que parce qu’ils ont mal compris ou interprété un papier, ils repoussent leur décision au conseil suivant. La plupart du temps le dossier est mis en concurrence avec d’autres, et là où au début on nous fait miroiter une aide de 50.000 euros, on nous octroie difficilement 12.000 à la fin. Ah, et il n’est pas rare que les fondations aient écrit dans leurs statuts qu’elles ne peuvent financer que du matériel et aucunement des frais de fonctionnement des associations.

Alors oui, ça fait bien dans le rapport de fin d’année de dire qu’ils ont financé une camionnette ou tout autre matériel, mais cela démontre clairement une méconnaissance totale du fonctionnement des associations. Nous avons eu le cas d’une fondation qui souhaitait nous donner 7.000 euros, mais uniquement pour financer une grue sur le Kraken.

A l’époque, nous ne savions pas comment nous allions payer la deuxième moitié de l’assurance annuelle du navire, ce qui représentait quasiment cette somme. Et j’ai eu beau argumenter que nous avions bien plus besoin de payer notre assurance qu’une nouvelle grue, cela « ne rentrait pas dans leurs statuts ».

De plus, il faut bien souvent prouver l’achat de matériel pour recevoir les donations, donc nous devons nous-mêmes avancer les fonds.
Pour les fonds publics, les dossiers sont tellement chronophages et les délais de paiement tellement longs que cela ne rentre plus dans mon spectre de recherche. Nous avons passé plus d’un an sur un dossier de subvention avec un conseil régional, qui nous ont promis 250.000, puis 150.000, puis 50.000€ payés en deux fois, pour au final rien ne nous donner du tout. Ceci évidemment, non sans nous balader d’un conseil à l’autre, en nous demandant inlassablement des papiers et des justificatifs.

Ceci constitue énormément de temps et d’énergie investis pour des paiements qui ne se font la plupart du temps pas. J’ai pris la décision (difficile, mais selon moi nécessaire), d’arrêter de perdre mon temps à remplir des dossiers de subvention publics et/ou de fondation.
Je ne désespère pas d’avoir un jour de l’aide de leur part, mais il faut clairement réformer cette branche de financement des associations, parce que pour l’instant Wings a dépensé plusieurs centaines d’heures de travail pour un résultat proche de zéro.

◆ Financements Grand Publics (cagnottes, campagnes de crowdfunding et dons récurrents)

Notre association n’a pas encore trois ans, elle n’est donc pas aussi implantée dans le paysage associatif français que ne peut l’être Greenpeace, Sea Shepherd ou encore la Surfrider Foundation. Ceci implique que nous n’ayons quasiment aucun revenu régulier, de particuliers qui nous donnerait de 5 à 50 euros tous les mois. Nous n’en avons qu’un, qui se reconnaîtra, qui nous aide depuis le départ à hauteur de 100 euros mensuel (Mille mercis).
L’association a organisé des cagnottes et des crowdfundings, mais en cette période de Covid, cela est difficile de faire appel à la générosité des citoyens. Nous sommes déjà bien suffisamment sollicités comme cela. Nous tenterons cette année des cagnottes pour les programmes des trois bateaux, on espère pouvoir compter sur vous.

◆ Mécénat privé et d’entreprise

Tout d’abord, je tiens à remercier tout particulièrement les grands mécènes de l’association qui, sans forcément chercher une quelconque reconnaissance ou contrepartie, nous aident dans nos missions. Ils nous sont extrêmement précieux. Cependant, bien que ces grands mécènes soient pour nous une chance inestimable, ils sont également très peu nombreux.

Aujourd’hui, le plus gros des financements de l’association vient de dons privés d’entreprises, d’une myriade de TPE, PME et quelques grosses entreprises.

Alors évidemment, chaque entreprise souhaite communiquer d’une façon ou d’une autre sur leur partenariat avec Wings of the Ocean, ce qui permet de justifier le don en interne. La plupart des entreprises qui nous aident le font avec un budget entre 1500 et 20.000 euros. Cela nous oblige à multiplier les partenaires, multiplier les photos et vidéos dédiées, tout en prenant du temps aux bénévoles à bord du bateau pour honorer ces partenariats.

Honnêtement, c’est un moindre mal et on le fait avec plaisir, mais il faut avouer qu’avec la multiplication des partenariats (obligatoire pour atteindre le budget), c’est quelque chose de très chronophage. Cependant, il s’agit ici de la façon la plus rapide de financement. On discute avec une entreprise, elle est motivée ou non, on a une réponse plutôt rapidement si une aide est réalisable ou non, et on a une idée du budget rapidement. Le must, c’est que la plupart des entreprises sont parfaitement conscientes des soucis de trésorerie qu’une association peut rencontrer, et donc n’hésitent pas à payer assez rapidement après la signature des conventions.

Nous essayons de chercher des financements dans des entreprises socialement responsable, tournés vers l’écologie et l’humain, etc. Mais force est de constater que ces entreprises là sont d’une part déjà énormément sollicitées, et d’autre part, n’ont pas forcément les budgets de mécénat pour faire fonctionner Wings.

J’adorerais ne recevoir des financements que d’épiciers bios, vrac, zéro-déchets et locaux. La réalité est souvent toute autre.

Je voudrais profiter de cette tribune pour réfléchir également sur la nature des fonds de ces entreprises. Nombreux sont ceux qui vont nous tomber dessus ou nous traiter de faux-écolos vendus si nous acceptons un financement d’un pétrolier ou d’une marque de grande distribution. Réfléchissons-y.

Pour ce qui est des pétroliers, il faut savoir qu’aujourd’hui, c’est Wings of the Ocean qui les finance. Oui, nous consommons de l’essence dans nos voitures et notre camionnette, et nous devons faire le plein de gasoil du Kraken une fois par an, que nous payons directement aux pétroliers. Personnellement je trouverais plus juste que le rapport soit inversé, car nous tentons tant bien que mal de réparer minimalement les dégâts qu’ils causent.

Ces entreprises, riches à milliards, aujourd’hui ne financent presque rien comme associations, principalement parce que s’ils le faisaient la presse les taxeraient de greenwashing. Du coup, beaucoup choisissent la voie du « ne rien faire, comme ça au moins, on parle pas de nous ».

Personnellement, je pense que l’argent est bien plus utile à la planète dans une association que sur leurs comptes.

Et puis s’il fallait communiquer avec eux, sérieusement, qui serait assez candide pour penser qu’un pétrolier est soudain devenu écolo parce qu’il donne 0.001% de son chiffre d’affaire à une association ? C’est faire insulte à l’intelligence collective.

◆ Pour conclure

Notre action sert également à parler d’écologie et des problématiques plastiques en interne de ces entreprises, et tenter d’apporter certaines (petites) solutions incrémentales.
Pour ce qui est des autres typologies d’activités, je pense qu’aujourd’hui aucune entreprise de taille suffisamment importante pour avoir la capacité de financer Wings of the Ocean dans sa globalité n’est réellement écologique. Et il faudra faire avec.

Cependant, il nous reste encore deux interdits sur lesquels je ne transigerais pas : les compagnies de pêche et les filières d’élevage/ abattage.
Comme je l’avais jadis répondu à Petit Navire, je n’aurais aucun problème à les aider dans une transition vers des produits végétaux, mais nous n’utiliserons pas l’image de Wings of the Ocean pour promouvoir le massacre d’animaux, marins ou terrestres.

J’espère que ce (long) texte vous aidera à comprendre les problématiques et mettra un peu de perspective dans les sponsors qui financent et financeront Wings of the Ocean.

En attendant que les déchets récupérés sur les plages aient suffisamment de valeur pour que nous puissions les revendre et payer nos équipes grâce à cela. Aujourd’hui, les déchets n’ont aucune valeur, car la production de plastique neuf est si peu chère qu’il est inutile économiquement de recycler.

Merci pour votre bienveillance,
Pour des océans sans plastiques,

 

Julien Wosnitza, le 12 mars 2021

Auteur de « Pourquoi tout va s’effondrer » et Fondateur de Wings of the Ocean, association de dépollution océanique utilisant le Kraken, un voilier 3 mâts de 47m dans ses missions, embarquant une trentaine de bénévoles motivés pour dépolluer un peu partout.

POUR SOUTENIR L’ASSOCIATION WINGS OF THE OCEAN, CLIQUEZ SUR L’IMAGE



Voir en vidéo pourquoi tout va s’effondrer selon Julien :


Photos de Wings of the Ocean par Victor Janjic

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