Billet d'humeur

« Je préfère l’action de terrain imparfaite aux jeux politiques », par Julien Wosnitza

En plus des articles écrits par les membres de la rédaction, Nexus souhaite diffuser des messages rédigés par d’autres personnes à la plume alerte. Sous forme de billets d’humeur, nous partageons régulièrement coups de gueules et de sang, évasions et analyses de l’esprit que nous trouvons pertinents.

Lisons aujourd’hui le cri du coeur de Julien Wosnitza, auteur de « Pourquoi tout va s’effondrer » et fondateur de Wings of the Ocean, association de dépollution océanique qui utilise le Kraken, un voilier 3 mâts de 47 mètres  dans ses missions, sur lequel naviguent partout où c’est possible une trentaine de bénévoles motivés. Fatigué et perdu face aux informations contradictoires, aux analyses péremptoires, aux langues accusatrices, aux coups bas médiatiques et aux mesures liberticides auxquels nous sommes tous confrontés, cet homme d’action nous explique comment il retrouve le goût et la force d’oeuvrer pour le bien commun par l’action et la solidarité concrètes.

 

Vous l’avez sans doute remarqué, du moins ceux qui me connaissent ou me suivent un peu ici, je poste et parle de moins en moins de l’actualité politique, tout comme je ne réagis quasiment plus aux décisions toutes plus absurdes les unes que les autres de notre gouvernement.

Ça fait plus de cinq ans que je suis actif politiquement, engagé quotidiennement pour l’écologie, les animaux et la justice locale. Et franchement, ça commence à me blaser. Pas l’activisme de terrain hein, celui-là est toujours au cœur de mes préoccupations, mais l’analyse politique et plus globalement, le jeu politique actuel me blase.

Franchement, je ne trouve même plus de sens à analyser les propos du gouvernement tellement ils sont devenus absurdes.

C’est difficile de faire la différence entre une Une du Monde et du Gorafi, quand t’as un gouvernement qui te sort qu’il faut rouvrir les stations de ski, mais ne pas laisser fonctionner les remontées mécaniques, puis revenir dessus quelques jours après et laisser uniquement les professionnels les utiliser ainsi que les licenciés de moins de 18 ans. Un exemple parmi tant d’autres.

Et surtout, voir à quel point le gouvernement rogne sur toutes nos libertés, déclare sans préavis ni consultations des lois d’exception dont on sait tous qu’elles deviendront la norme dans quelques temps. Aujourd’hui les drones de surveillance ne sont que pour les terroristes, mais bientôt ils seront aussi pour les fichés S, puis pour les opposants politiques au régime en place (d’ailleurs on vient de voter une loi permettant au gouvernement de ficher les opposants politiques), puis au final pour « la sécurité de toute la population ».
Ce dimanche, il y avait James Bond, « Spectre » à la télé. Ça raconte l’histoire d’un gars qui veut installer un système de surveillance mondial complet et à la disposition des gouvernements du monde entier. Sous couvert de « sécurité », les gouvernements traqueront désormais chaque fait et geste des citoyens. Et pour convaincre les pays qui refusent de s’intégrer au projet de collectivisation des donnése, le grand méchant de James Bond crée des attentats dans ces pays, et leur explique qu’avec le système de surveillance généralisé ces attentats auraient pu être évités.
Belle fiction n’est-ce-pas ?

On a tous vu le documentaire « Hold Up », qui fait état d’un grand complot mondialisé orchestré par les puissants et qu’il faudrait se « réveiller » pour éviter le pire. Les débats qui en sont sortis étaient tellement enflammés qu’ils en étaient inflammables : soit on devenait directement complotiste, soit on était un suppôt du pouvoir. Avec nous, ou contre nous, pas d’entre-deux.

Alors franchement, j’ai aucune idée de s’il y a des gens derrière un laboratoire P4 à Wuhan qui ont créé un virus faisant partie d’un grand complot orchestré par plusieurs milliardaires pédophiles en quête de domination du monde dans un calendrier sataniste.

Par contre, faut être aveugle pour pas capter que malheureusement toutes les conséquences en terme de répression des opposants politiques et de restrictions des libertés arrivent : Loi sécurité, drones de surveillance, assignation à résidence, couvre-feu généralisé, fermeture des secteurs du divertissement, non-écoute de la convention pour le climat, renforcement du rôle de la police, le président qui gouverne seul et décide seul du sort de la nation sans lien aucun avec son programme électoral et qui justifie cela par une guerre contre un ennemi invisible (en vrai ça s’appelle une dictature, ça en est même l’exacte définition), etc.

Photo prise pendant la manifestation du 29/08/2020 à Paris (Estelle Brattesani)

 

Bref, on vit dans une période des plus sombres, avec en plus une population qui se déchire entre les complotistes, les gauchistes, les fachos, les nantis, les LGBT, les racisés, ceux qui se posent en défenseur.e.s des minorités et j’en passe.

Tout ça pendant que notre planète se réchauffe, qu’aucune des revendications des Gilets Jaunes (qui ont quand même manifesté pendant plus de 80 dimanches de suite bordel) ni d’aucun autre mouvement social ne soient écoutées, que le pays sombre dans une dictature sanitaire et policière, que notre économie est à l’agonie, que nos océans se vident de poissons et se remplissent de plastique, que le marché du pétrole est en crise complète, que les inégalités n’ont jamais été aussi importantes, que la biodiversité est à l’agonie partout sur le globe, que notre jeunesse pointe face à un chômage de masse et des envies de bosser pour des trucs qui ont un peu plus de sens que d’aligner des slides dans des Powerpoints foireux pour sous-chef avare de promotion dans une boîte miteuse et dénuée de sens.

Franchement, ce spectacle me désole.

Par contre, l’actualité de tous les jours ne m’inspire plus rien. J’ai l’impression que les politiciens, chroniqueurs et journalistes de tous bords ne font que d’analyser les petites phrases des uns et des autres, ça braille dans tous les sens, ça s’accuse de tout et de rien en se basant sur des petites phrases, ça use de mauvaise foi toute la journée pour essayer de diaboliser « l’autre camp ». Comme si plus personne ne savait s’élever sans faire descendre les autres. Et quand certains essayent d’élever le débat et de débattre des idées, on tente absolument tout pour les discréditer ad hominem.

On est dans la recherche de pureté permanente des militants et des gens du présumé « camp du bien ».

Un mot de travers, un mauvais post, une story tendancieuse et la « cancel culture » s’occupe de toi. Franck Lepage en est victime en ce moment pour avoir posé deux ou trois questions.

On passe notre temps à accuser les autres de tout et n’importe quoi, et eux ils doivent se justifier, jusqu’à la prochaine phrase et la prochaine tempête dans un verre d’eau.

La polémique sur François Ruffin dernièrement était le paroxysme de tout ce qui pouvait se faire de pire et de plus absurde sur le sujet : François s’est fait taxer de racisme et de rétrograde parce qu’il a émis l’idée sur France Inter des contrôles des marchandises aux frontières et indiquer qu’un pays devait pouvoir choisir ses importations. Depuis on s’écharpe à son sujet, François a dû se défendre publiquement, etc… Non mais Pitié quoi.

Pour la 5G ça va être pareil, les pro-5G ont préparé leurs arguments bien affûtés : cela va permettre la télé-médecine, donc on va pouvoir se faire opérer par le meilleur spécialiste américain de la pathologie, depuis l’hôpital de chez soi.
Ceux qui seront contre la 5G seront donc des vilains rétrogrades qui souhaitent la mort des pauvres malades qui ne pourront pas profiter de cette nouvelle télé-médecine, et qui vont donc mourir à cause des gens qui s’opposent à la 5G, bande d’assassins !
Youpi les gars, si vous voulez faire ça, il vous suffit de passer la fibre dans les hôpitaux, ça coûte même moins cher que de mettre des antennes sur tout le territoire. Parce qu’aux dernières nouvelles, on n’opère pas avec le spécialiste mondial du ventricule gauche au bout de l’écran à l’arrière d’une camionnette en rase campagne. On va dans un hôpital.

Et bien que leurs arguments à trois francs se battent en brèche en cinq minutes pour toute personne dotée d’un minimum de réflexion et d’esprit critique, pour chaque truc du style, on a des experts autoproclamés qui se déplacent dans tous les médias pour nous vanter des bienfaits d’une nouvelle connerie. Ou bien on a un balai incessant de ministres et de porte-paroles du gouvernement devant les médias (c’est à se demander quand ils bossent leurs dossiers d’ailleurs) pour nous faire avaler la pilule de la nouvelle mesure liberticide pondue dans l’urgence.

Tant et si bien qu’il y a trop. Trop de trucs débiles, trop de réflexions à avoir en même temps sur des sujets trop divers, trop d’informations à recouper. Et même si on fait le job d’aller chercher les infos, ils nous pondent trois nouvelles conneries pendant qu’on est allé chercher de quoi se forger un point de vue construit sur seulement une seule.

Surtout, c’est chronophage et énergivore. Alors ça va pour les militants qui passent leur temps à déconstruire les discours du capital, mais pour les gens qui bossent, qui ont une vie de famille ou des engagements associatifs, c’est injouable.

J’ai vraiment l’impression qu’on se retrouve de plus en plus dans « Le Meilleur des Mondes » d’Huxley au niveau de l’information.

Rien n’est caché aux gens, mais tout est embourbé dans un brouhaha constant d’informations contraires, d’annonces immédiatement contredites et d’absurdités, que notre attention est détournée des informations réelles.

Tant et si bien que je n’arrive plus vraiment à construire un raisonnement politique clair et précis. Il y a tellement à s’indigner que je n’arrive plus à m’indigner. Quand je pense à l’actualité, mon esprit se brouille d’un flux d’informations contradictoires m’empêchant toute réflexion de fond.

Et même quand des gens se mobilisent (sur demande d’ailleurs du chef de l’état) pour y voir plus clair et proposer des solutions politiques de préparation à la crise du climat, ils sont décrédibilisés dès que ça commence à devenir sérieux. Regardez la Convention pour le climat : des gens ont bossé, comme d’habitude pour les initiatives telles que celles-ci, mais les gouvernants jettent tout ça à la poubelle à la première occasion venue. Franchement, les prochains qui sont appelés à bosser sur des consultations, ou à filer des infos climatiques aux gouvernants, faites-leur soit un copier-coller, soit renvoyez-les aux milliers de rapports non lus expliquant en détail la situation et les réponses à y apporter. Cyril Dion en est à sa cinquantième pétition et sa vingtième lettre ouverte qui resteront toutes sans réponse.

J’ai perdu toute foi en ces systèmes politiques pour améliorer quoi que ce soit : la vie des gens, la crise climatique, les problèmes sociaux, les inégalités. Je les vois juste comme des accélérateurs d’effondrement. Et en ce sens, même les partis politiques dits « d’opposition » perdent petit à petit leur crédit à mes yeux.
Je ne me reconnais plus du tout dans les débats de gauche actuels. Dans la victimisation et l’auto-scarification permanente des hommes blancs hétéro cisgenre, qui forcément doivent se repentir de plus ou moins tous les malheurs du monde.
Dans la non critique totale de l’islam radical, dans les débats sur la laïcité et la non-critique absolue des minorités, dans la volonté de faire des exceptions un peu partout et pour chaque minorité, laissant place à l’arbitraire et aux causes qui sont les plus « bankables » en terme électorales.

Faire une quelconque critique d’une quelconque minorité fait d’office de toi un facho, un raciste, un machiste ou un homophobe. Twitter est bourré de tribunaux d’inconnus qui jugent la pseudo bien-pensance ou non de telle ou telle parole.

Du coup, la gauche s’enferme dans cette quête de pureté et passe désormais son temps à disserter sur le fait que Méluche soit raciste vis-à-vis des Tchétchènes ou non, ou bien savoir si certains députés FI se sont suffisamment indignés de la caricature de Danielle Obono dans un canard d’extrême-droite.

Tout ça pendant que les vrais gens galèrent à boucler les fins de mois, que les jeunes ne trouvent pas de boulot et que le fameux « peuple » qu’ils prétendent défendre n’a jamais été aussi déconnecté de leurs querelles de Polichinelles.

Je suis de plus en plus blasé par ce qui se passe sur le plan politique gouvernemental, du coup je trouve une sorte de salut dans ce projet associatif qu’est Wings of the Ocean, dans cette petite oasis de vie et de bon sens qu’est devenu le Kraken. On milite à notre façon, en revendiquant un autre mode de vie : le zéro déchet, les dépollutions, la sensibilisation des populations, le déplacement à la voile, etc.

Clairement, on est loin d’être parfaits, mais on essaye de s’améliorer ensemble, chaque jour un peu plus, dans nos discussions à bord, dans notre rapport au monde, aux animaux, au temps, aux autres…

On cherche chaque jour des solutions pour réduire notre empreinte en plastique, pour consommer plus local, pour consommer moins de carburant, pour dépolluer des zones les plus pertinentes, pour entretenir le bateau de façon écologique, pour respecter au mieux les temps de chacun à bord, etc… et tout ça en groupe !

On n’est pas parfaits, on a encore des fringues qui viennent de Chine, on a encore certains achats qui contiennent du plastique, on consomme du diesel en navigation pour la production d’électricité du bord, on a des smartphones, etc… mais on vit avec ces contradictions tout comme on essaye d’y trouver des alternatives quand c’est possible.

Personnellement, je ne recherche pas la pureté militante, si chère à notre tribunal d’internet, je tente juste de faire au mieux en accord avec mes valeurs, sans me renier.

M’occupant des finances de l’association, je dois faire des arbitrages parfois compliqués entre la nécessité de financer les travaux du bateau ou la nourriture du bord, et accepter des sous d’entreprises qui ne sont pas éthiques à tous points de vue.
Alors oui, on a refusé un don de 30.000 euros de Petit Navire, mais je sais très bien que ce sera vite oublié par ce cher tribunal d’internet le jour où une entreprise pas forcément « pure » à leurs yeux nous financera.

En revanche, et pour finir sur une note positive, ce week-end fût l’exemple parfait de ce que nous pouvons faire lorsque les entreprises, les citoyens, les associations, les médias et les politiques bossent ensemble en bonne intelligence : j’ai contacté dernièrement l’agglomération de Forbach pour effectuer une dépollution d’un dépôt sauvage. Immédiatement, les services compétents m’ont appelé pour mettre à disposition des containers afin d’effectuer un pré-tri des déchets récoltés, puis ensuite venir récolter le butin du jour.
Wings of the Ocean s’est occupé de créer l’événement Facebook, puis de l’envoyer aux médias locaux : ceux-ci ont lancé un appel à bénévoles la veille de l’événement.
J’ai demandé à une entreprise (la ferme de Tenteling) si elle pouvait me prêter un Télescopique avec godet, ce qu’elle a accepté en nous proposant même de le conduire et d’effectuer les manœuvres durant l’après-midi.

Le jour J, c’était une trentaine de bénévoles qui se sont déplacés, avec des médias pour relater l’événement, des politiques venus constater l’engouement et la bonne mise en place des containers, pour au final plus de 25 tonnes de déchets récupérés, puis triés par les services de l’agglomération.

Cela peut vous paraître normal comme procédure, mais vous n’imaginez pas combien de fois nous tombons sur des freins d’un ou plusieurs maillons de cette chaîne.

C’est pour cela que je remercie encore chaque personne motivée, chaque volontaire sur le Kraken, chaque bénévole à terre, chaque élu local qui nous facilite la tâche, chaque entreprise qui souhaite aider selon ses moyens, chaque infrastructure facilitatrice, chaque professeur nous laissant un moment de présentation auprès de ses élèves, etc

C’est en ce sens que je retrouve ma façon de militer, et non plus en analysant des petites phrases politiques dérivés du plus absurde des livres d’anticipation humoristique.

 

A très vite,


Julien Wosnitza, le 7 décembre 2020

 

Auteur de « Pourquoi tout va s’effondrer » et Fondateur de Wings of the Ocean, association de dépollution océanique utilisant le Kraken, un voilier 3 mâts de 47m dans ses missions, embarquant une trentaine de bénévoles motivés pour dépolluer un peu partout.

Voir en vidéo pourquoi tout va s’effondrer selon Julien :


Photo de couverture par Victor Janjic

 

✰ Magazine NEXUS : 112 pages, 100 % inédit, 100 % indépendant !

👉 Cher lecteur, notre indépendance dépend de vous, NEXUS n’a ni subvention, ni publicité ! Le magazine ne vit que grâce à vous. En vous abonnant ici au format papier ou numérique, vous soutiendrez une presse totalement libre et vous découvrirez des sujets inédits traités nulle part ailleurs ! Achetez nos numéros à l’unité en cliquant ici

👉 NOUVEAU ! Vous pouvez aussi FAIRE UN DON ponctuel ou régulier sur TIPEEE ou sur PAYPAL pour financer le contenu en ligne accessible GRATUITEMENT. C’est grâce à votre contribution que l’équipe web pourra continuer !