Billet d'humeur

« Être rémunéré pour détruire, mais bénévole pour restaurer ? », par Julien Wosnitza

En plus des articles écrits par les membres de la rédaction, Nexus souhaite diffuser des messages rédigés par d’autres personnes à la plume alerte. Sous forme de billets d’humeur, nous partageons régulièrement coups de gueules et de sang, évasions et analyses de l’esprit que nous trouvons pertinents.


Passons un moment aujourd’hui avec Julien Wosnitza, auteur de « Pourquoi tout va s’effondrer » et fondateur de Wings of the Ocean, association de dépollution océanique qui utilise le Kraken, un voilier 3 mâts de 47 mètres dans ses missions, sur lequel naviguent partout où c’est possible une trentaine de bénévoles motivés. Issu d’une école de commerce qui aurait pu lui permettre de bien gagner sa vie, il a choisi d’être au coeur du système autrement, en dédiant sa vie à nettoyer la pollution des océans que ce système crée. Mais restaurer, contrairement  à détruire, demande beaucoup de temps, et ne permet que rarement de  gagner sa vie. Alors aujourd’hui, actuellement au RSA, Julien s’interroge : est-ce logique, normal, juste que détruire soit parfois ultra-rentable, alors que réparer demande beaucoup d’abnégation et
de peiner pour obtenir quelques fonds ?

ÊTRE RÉMUNÉRÉ POUR DÉTRUIRE, MAIS BÉNÉVOLE POUR RESTAURER ?

Il y avait ce soir sur France 2 l’émission « Une planète parfaite », dont les images à couper le souffle nous expliquent l’impact de l’humanité sur notre planète, son climat, sa végétation et les autres espèces qui nous entourent.

Ce soir, il y avait aussi cette petite note d’espoir caractéristique des documentaires grands publics : « Regardez, des hommes et des femmes se mobilisent aux quatre coins du globe pour enrayer le réchauffement, planter des arbres ou défendre la biodiversité ! »

Il y a surtout une chose qui m’est apparue ce soir, bien plus encore que tous les autres jours.

Un sentiment et un constat que je n’arrivais pas à formuler clairement, mais qui m’apparaît aujourd’hui comme un non-sens total : toutes les personnes présentées dans le documentaire comme agissant pour la planète sont bénévoles.

Très rares sont ceux qui sont rémunérés à leur juste valeur dans des travaux de préservation de la biodiversité. Alors que les entreprises destructrices (pétrolières, pêche, élevage, textile, biens de grande consommation, finance, etc… ) permettent de rémunérer parfois extrêmement bien ses employés.

Je me souviens de la seule conférence sur le thème de l’environnement qu’il y a eu dans mon école de commerce durant ma scolarité (en 2015), où on nous expliquait sans la moindre pression qu’il était de notre responsabilité à nous les étudiants de ne pas aller travailler dans les entreprises polluantes.(Pas mal pour une école qui enseigne le capitalisme et ouvre ses portes grandes ouvertes aux recruteurs des banques, de Coca Cola, Carlsberg, Danone et autres grands groupes.)

J’avais objecté à l’époque qu’entre une entreprise (ou une association) environnementale qui propose 1500 euros à un Bac+5 et une multinationale industrielle qui propose 3000 euros au même âge, le choix ne nous appartenait pas forcément toujours. Il n’y a pas eu de réponse, et ils ont changé de sujet.

L’exemple de jadis est d’actualité aujourd’hui. Pour prendre mon cas personnel, je pourrais travailler comme commercial dans n’importe grand groupe, et mes camarades de promotion sont tous à des postes gagnants entre 2500 et 4000 nets.

Au lieu de ça, j’ai choisi de bosser 80 heures par semaine pour être au RSA. Et encore, je ne le touche que depuis moins d’un an.

Sur le Kraken, les profils sont totalement divers et variés, mais encore une fois toutes et tous sont bénévoles.

Aujourd’hui, plus que d’agrandir encore la flotte de navires et d’avoir plus d’impact, mon but est d’arriver à salarier des membres clés de l’association, parce qu’il n’y a pas de raison que ces gens travaillent comme des acharnés pour le gîte et le couvert.

J’ai pris ces deux exemples, car pour moi ils illustrent parfaitement la dystopie dans laquelle nous nous trouvons : les humains sont rémunérés pour détruire tout ce qui les entoure, alors que les quelques personnes qui essayent de préserver la biodiversité doivent le faire soit sur leur temps libre, soit au détriment de leur sécurité financière de base.

J’ai autour de moi des dizaines d’exemples de « ce qu’il faudrait faire » pour atteindre une neutralité carbone et préserver la biodiversité.

Que ce soit des associations de dépollution, des entreprises de transport à la voile, des réseaux de micro-fermes en permaculture, des pépinières spécialisées en agroforesterie, des éco-villages résilients, etc.

Mais tous ces projets se heurtent encore et toujours au même problème : le manque de moyens financiers.

C’est quand même fou de se dire ça, alors que des start-ups n’ayant pas trouvé de modèle économique peuvent faire des levées de fonds de plusieurs millions d’euros !

Le modèle entier est à réinventer.

 

Julien Wosnitza, le 16 février 2021

Auteur de « Pourquoi tout va s’effondrer » et Fondateur de Wings of the Ocean, association de dépollution océanique utilisant le Kraken, un voilier 3 mâts de 47m dans ses missions, embarquant une trentaine de bénévoles motivés pour dépolluer un peu partout.

 

POUR SOUTENIR L’ASSOCIATION WINGS OF THE OCEAN, CLIQUEZ SUR L’IMAGE



Voir en vidéo pourquoi tout va s’effondrer selon Julien :


Photos par Victor Janjic

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