Autonomie alimentaire

Le chanvre, une plante clé pour le monde de demain à bâtir dès aujourd’hui ?

Il y un an, était lancé un manifeste pour le renouveau de la culture du chanvre signé par le Syndicat professionnel du chanvre associé à 70 personnes pour « faire de la culture du chanvre un secteur clé du plan de relance écologique et économique ». Quelles sont les vertus de cette plante et cette tribune a-t-elle permis des avancées en la matière en France ?

Une opportunité économique et écologique

Le 7 juin 2020, le Syndicat professionnel du Chanvre appelait à mettre le feu des projecteurs sur la renaissance du chanvre, essentiel pour eux à notre avenir, au sein d’un manifeste publié dans le Parisien. L’hebdomadaire agricole et rural des Deux -Sèvres AGRI 79 en a fait un résumé :  « “Leader de ce secteur depuis des décennies, la France pourrait bien être reléguée au statut de spectateur en seulement quelques années”, déclare le manifeste. » Pour les signataires, il ne faut pas rater l’occasion « d’allier des solutions écologiques innovantes et des perspectives économiques exceptionnelles «. « Nous, acteurs du chanvre, voulons prendre notre part de ces défis. »

Une plante aux multiples vertus

Sur le site du projet Existence B, ayant pour objectif de développer un autre type de société plus résiliente à tous niveaux, les vertus du chanvre sont résumées en quelques mots : « Le chanvre a cette particularité de régénérer les sols, fertiliser la culture suivante et favoriser la biodiversité. » L’Observatoire européen de la Transition poursuit : « Intéressant aussi bien en matière de construction que de rénovation, le chanvre permet une utilisation multiple, modulable selon les performances recherchées (acoustique, technique ou esthétique). (…) S’il constitue une alternative efficace aux isolants classiques, le chanvre est également écologique. Matériau renouvelable et recyclable, sa culture ne nécessite pas ou peu d’insecticide et n’exige pas d’irrigation importante. Comme il pousse très vite en absorbant du CO2 et qu’il est utilisé sur le long terme, beaucoup considère que son utilisation aurait un bilan carbone proche de zéro. »

Au niveau alimentaire, la graine de chanvre est bénéfique selon Passeport Santé : « Les graines de chanvre sont une bonne option car elles contiennent des acides gras essentiels polyinsaturés, parmi lesquels des oméga-3 et des oméga-6. Elles contribueraient alors à baisser le taux de cholestérol, à prévenir les maladies cardiovasculaires, à renforcer le système immunitaire et à préserver les membranes cellulaires du système nerveux ». Elles sont également utilisées pour nourrir les animaux, comme les oiseaux et les poissons, et dans la fabrication de cosmétiques. Les fibres de chanvre sont « utilisées dans les industries du papier, de l’automobile, du bâtiment (matériaux isolants…), du textile. La chènevotte (paille de chanvre) sert pour la litière des animaux, le paillage des plantes et le béton de chanvre », explique Franck Barbier, président d’InterChanvre, l’interprofession du chanvre dans un article pour Ouest France.
Les fleurs et les feuilles de chanvre contiennent du CBD (Cannabidiol) aux vertus relaxantes. Elles peuvent être quant à elle utilisées en extraits incorporés dans les cosmétiques ou compléments alimentaires,  ou  dans les e-liquides pour les cigarettes électroniques, mais également sous forme brute, en tisanes, ou en tant que fleurs à fumer. De plus, c’est une plante qui n’a pas besoin d’être désherbée. « Pour toutes ces raisons, le chanvre doit avoir sa place dans le plan de relance », affirme le manifeste.

◆ Un des piliers de l’avenir ?

Le chanvre semble rassembler de sérieux atouts pour transcender les crises actuelles et à venir, en permettant la relocalisation de la production alimentaire et énergétique. Ne plus dépendre de productions qui viennent de loin à l’heure où les sols s’assèchent et s’appauvrissent, où les pénuries menacent, où le chômage et la pauvreté s’amplifient, où les équilibres naturels sont en danger ou déjà perturbés, sonnent comme une mélodie régénérante.

La culture de chanvre pourrait créer de l’emploi local et durable, et remplacer par exemple les produits dérivés du pétrole, le soja pour l’alimentation animale, ou le coton.

Pour découvrir plus en détails le potentiel économique et les avantages écologiques du chanvre selon Aurélien Delecroix, membre du Syndicat du chanvre, vous pouvez visionner cette vidéo, proposée sur la chaîne Youtube de Plan(s) B, qui a pour ambition de « valoriser les initiatives d’acteurs de la transition sociale et écologique, et de la résilience ». Aurélien Delecroix insiste bien dès le départ qu’il ne faut pas confondre chanvre et cannabis : « C’est la même espèce, c’est pour ça que la confusion est souvent entretenue, mais c’est pas les mêmes variétés ».

 

Une plante locale ancestrale

Nous avons contacté Aurélien Delecroix qui nous a apporté plus de précisions : « Ce qu’on désigne communément dans le langage commun comme le chanvre, ce sont les variétés de l’espèce Cannabis Sativa, qui ont toujours poussé sous des climats tempérés, et qui n’ont jamais été psychotropes, c’est-à-dire qu’elles ont toujours eu une dominance de CBD par rapport au THC qu’on retrouve dans des proportions bien moindres. Alors que ce qu’on désigne comme étant du cannabis récréatif, ce sont des variétés qui ont toujours poussé à l’inverse dans des climats chauds, fortement ensoleillés, et qui donnent lieu à la sécrétion de fort taux de THC, molécule psychotrope.

Le CBD est une molécule non psychotrope qui va apporter une détente musculaire et psychique, sans effet secondaire, et sans créer l’ivresse cannabique.

Le chanvre, ce sont des variétés de cannabis de chez nous, qui ont toujours été utilisés par les Européens, notamment par les Gaulois il y a 2000 ans qui utilisaient déjà des fleurs de chanvre pour conserver leur vin. Charlemagne avait fait du chanvre une matière première stratégique. Le cannabis, on ne l’a connu en Europe qu’avec le retour de la campagne d’Égypte de Napoléon, où les soldats avaient pu expérimenter le haschich et en ramener avec eux. Mais avant cet épisode-là, le cannabis psychotrope, à forte dominante THC, n’était pas connu des Européens. »

 

Des verrous au décollage de la culture

Les agriculteurs en France ne peuvent pas valoriser la feuille et la fleur de chanvre, parties de la plante à forte valeur ajoutée. Cette situation crée « une distorsion concurrentielle entre nous et d’autres pays, notamment les pays de l’Europe de l’Est, mais aussi les États-Unis qui ont une filière en très grosse expansion ». Genre de pays où le nombre de variétés autorisée est plus grand qu’en France, ainsi que le taux de THC permis : 0,3% au lieu de 0,2% maximum en France. Agrandir en France le champ des possibles en augmentant le nombre de variétés autorisées, et en permettant la valorisation de l’intégralité de la plante serait bienvenu pour le Syndicat. « Ce qui tire les filières chanvre de par le monde, ce sont deux choses : la graine, pour l’alimentation humaine, et le CBD, molécule non psychotrope contenu dans la fleur de chanvre. Nous ne sommes pas seuls à le dire : L’EIHA, l’association européenne des producteurs de chanvre dit que l’essentiel de la valeur dans le chanvre est dans la partie haute, c’est à dire dans la graine, et dans la feuille et la fleur, et non pas la tige. Or aujourd’hui, la filière française industrielle s’est basée depuis plus de trente ans sur les applications industrielles du chanvre, et donc la paille tirée de la tige, qui reste intéressante à exploiter. Mais tant que le premier débouché restera la paille et que l’on valorisera mal la graine, aujourd’hui majoritairement utilisée pour l’alimentation animale pour un prix dérisoire, aux alentours des 200€ la tonne, alors qu’on est au plus à 1600€ la tonne pour l’alimentation humaine, la filière économique n’évoluera pas. C’est moins rentable pour un agriculteur industriel de cultiver du chanvre, 500€ à l’hectare, comparativement au blé et au maïs qui ont des rentabilités plus élevées, avec des taux respectifs de 700 et 900€. » Il existe néanmoins des chanvriers indépendants en France qui eux ont un modèle différent : ces-derniers généralement ne valorisent pas la paille, ou très peu, car cette valorisation demande des outils onéreux, mais préfèrent valoriser la graine en alimentation humaine pour plus de rentabilité.

 

Des changements juridiques récents

Dans un arrêt en date du 19 novembre 2020, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a jugé la réglementation française en matière de CBD contraire au droit de l’Union européenne. En effet, l‘arrêté du 22 août 1990 qui limite la culture, transformation et commercialisation du chanvre à ses seules fibres et graines n’est pas conforme au droit européen. De plus, selon un cabinet d’avocats, « le 23 juillet 2018, le ministère français de la Justice a publié une dépêche indiquant notamment que les établissement offrant à la vente des produits dérivés du cannabis contenant du THC et/ou ne remplissant pas les conditions cumulatives prévues l’arrêté du 22 août 1990 peuvent être poursuivies au titre des infractions relatives à la législation sur les stupéfiants. »

 

La réponse récente plus détaillée de la CJUE concernant la situation de la France a été relayée par le Syndicat du chanvre dans une note dédiée à ses adhérents : « Les extraits de la plante entière de chanvre ne sauraient être considérés comme des stupéfiants s’ils proviennent de variétés légales au taux de THC inférieur à 0,2%. Ainsi leur libre circulation ne peut être remise en cause à ce titre là. Pour que la France puisse restreindre l’importation des ces extraits et de leurs produits, il faudrait que celle-ci puisse fonder cette restriction sur la base d’éléments scientifiques démontrant le risque que représentent ces extraits pour la santé des personnes. Or, la Cour considère qu’en l’état actuel des données scientifiques, rien ne permet de penser que ces extraits puissent être dangereux. La France n’est donc pas légitime à restreindre leur circulation et commercialisation sur son territoire. » Bémol : Ce rendu ne concerne pas les restrictions françaises sur le travail et la culture de la fleur de chanvre. Par voie de conséquence, rien n’a changé concernant l’autorisation de la culture, la transformation et la production à partir de la plante entière de chanvre en France. L’arrêt ne permet que l’autorisation de la commercialisation de produits venant d’autres états de l’Union.

L’herbe coupée sous le pied

Si le 25 mai 2021, le Gouvernement a proposé un décret pour autoriser une production française de CBD, elle concernerait uniquement la fabrication de produits dérivés. Un article du média  Le Télégramme détaille : « Si les huiles, aliments et autres cosmétiques au cannabidiol pourraient être commercialisés sous certaines conditions, les fleurs brutes à fumer ou en tisane seraient complètement interdites. » Pour résumer, on ne pourrait fumer ou boire que du CBD made out-of-France. Cette annonce par les autorités reste « non propice au développement d’une filière dynamique pour le chanvre », pour Aurélien Delecroix. Il serait alors possible d’utiliser les fleurs de chanvre pour les cosmétiques et les e-liquides pour les cigarettes électroniques. Mais pour ce qui concerne l’alimentaire, cela sera plus compliqué, car le flou règne encore. En effet, les extraits issus de la fleur de chanvre (mais pas la graine, qui n’est pas considéré comme un aliment nouveau) font partie du catalogue européen Novel Food que s’est engagé à suivre la France, bien que non contraignant. La fleur de chanvre n’est quant à elle citée nulle part. La conséquence de cela  ? « Quelqu’un qui voudrait commercialiser un produit ou un complément  alimentaire qui contient des extraits de chanvre devra déposer un dossier de demande, payer 250000 euros et attendre 2 ans pour avoir une réponse. Et quelqu’un qui voudrait utiliser la fleur brute ne saurait sur quel pied danser », nous précise Aurélien Delecroix. Quant à ceux qui avaient fait le pari que la France obéirait à l’Europe suite à sa décision de novembre 2020 et qui s’étaient lancés dans la production de fleurs et de feuilles de chanvre, ils se retrouvent le bec dans l’eau et imaginent déjà des solutions pour faire sortir leurs fleurs séchées du pays, pour les faire revenir ensuite…

Heureusement, il reste la tige, la graine et la fibre de chanvre à cultiver. Et à espérer que la production de chanvre, avec récolte ou non des feuilles et des fleurs, sera tout de même encouragée et valorisée dans les domaines énergétiques, alimentaires, de la construction, de la fabrication de tissu et pour régénérer les sols, afin de remporter les défis écologiques majeurs qui sont déjà là.

Image principale par NickyPe de Pixabay

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