Entretien

David, passeur de la mémoire amérindienne

Figure discrète des luttes autochtones et importateur d’Idle No More en France, David Constantin est un homme qui fait passerelle : entre les peuples, mais aussi entre spiritualité et activisme. Son itinéraire parfois douloureux, nourri de combats et de rencontres hors du commun, témoigne d’un engagement profond et rare. De la banlieue parisienne aux réserves amérindiennes ou aux terres de France en danger, portrait d’un passeur d’humanité.


◆ Un enfant cabossé par la vie

Grand brûlé à l’âge de quatre ans, David passe une enfance marginalisée à Nogent-sur-Marne. Marqué par la violence scolaire et l’indifférence institutionnelle, il se construit à force de solitude et de rage. Son esprit combatif est nourri autant par les blessures que par l’amour d’une mère qu’il décrit comme courageuse et digne. Les arts martiaux deviennent un exutoire, une discipline salvatrice qui, peu à peu, transforme sa colère en énergie créatrice.

◆ La révélation amérindienne

C’est devant un western – La Flèche brisée – que l’enfant comprend que quelque chose ne tourne pas rond dans le récit dominant. Les Amérindiens, décrits comme les méchants, sont en réalité les victimes. Plus tard, à l’armée, la lecture d’un ouvrage sur Geronimo le pousse avec force dans une quête de justice et de reconquête de la mémoire. Il découvrira notamment que les peuples amérindiens ont versé leur sang sur les champs de bataille européens, information trop souvent éludée pendant nos cours d’histoire.

◆ Regagner les Plaines

En 1997, David cofonde l’association Regagner les Plaines avec un ami avec qui il conte l’histoire des Amérindiens dans les écoles. Sans moyens, sans réseau, ils organisent une collecte de fournitures pour les enfants amérindiens lakotas de la réserve de Pine Ridge. Leur initiative séduit par sa simplicité et sa sincérité. Loin de toute posture de sauveur, David privilégie la fraternité directe : « Ce sont les enfants français qui partagent avec les enfants lakotas », expliquera-t-il à un décideur local, attaché à l’indépendance et l’autonomie de son peuple malgré ses nombreuses et lointaines souffrances. En 2012, ils organisent à Houdain les Standing Buffalo Commémorative Days, en l’honneur d’Amérindiens morts pour la France.

◆ Idle No More (ou « Fini l’inaction »)

Avec Idle No More France, mouvement à l’origine créé par 4 femmes autochtones au Canada, David et ses camarades importent une manière de militer non violente mais ferme, ancrée dans les réalités locales. Pendant plusieurs années, ils organisent en France des manifestations en l’honneur des femmes autochtones violentées, disparues et assassinées, en écho à la Journée de la robe rouge organisée au Canada. Ils luttent également contre les injustices écologiques et sociales en France et en Europe, comme contre celles de l’autre côté de l’océan. Décharges à Brocéliande, projets écologiquement destructeurs, industriels de l’agroalimentaire comme Monsanto, les raisons de militer sont nombreuses. Aujourd’hui, ils sont cinq à être coordinateurs nationaux du mouvement français.


Les quatre fondatrices autochtones d’Idle No More au Canada


◆ Passeur de mémoire et voix des oubliés

David devient ainsi ambassadeur culturel de plusieurs nations amérindiennes. Il œuvre pour la restitution d’objets sacrés et la reconnaissance des génocides occultés. Il évoque avec force le massacre de Wounded Knee, le sort de Leonard Peltier, prisonnier politique pendant près de 50 ans qui vient tout juste de sortir de prison, ou encore celui de milliers d’enfants amérindiens arrachés à leur culture et violentés dans les pensionnats occidentaux. À travers ses récits, c’est toute une mémoire qu’il exhume, une histoire universelle de souffrance, de résistance et de résilience.

◆ Une spiritualité sans folklore

Critique des dérives du néo-chamanisme, David défend une vision exigeante et humble de la spiritualité. Selon lui, le vrai chamane ne se proclame pas. Il vit son art dans le silence et l’effacement. Il défend aussi la spécificité des cultures européennes : « Nous avons nos druides, nos devins. Inutile de nous prendre pour ce que nous ne sommes pas. On n’apprend pas à être chamanes en deux jours dans un stage. »

◆ Demain, la Haute-Vienne

Prochainement installé en Haute-Vienne, David veut poursuivre son travail de transmission dans une démarche d’éducation populaire et de mémoire. Avec son réseau, il compte organiser conférences, rencontres et échanges culturels. Il évoque même la venue d’un ancien compagnon de prison de Leonard Peltier, pour témoigner. Pour David, il ne s’agit pas d’exotisme mais d’humanité partagée, et chaque salle des fêtes, chaque école de campagne est un espace potentiel de conscience.

◆ Un « humain parmi d’autres »

David se définit comme un humain parmi d’autres et fidèle à sa Terre. À ceux qui cherchent des héros, il oppose des visages : celui d’un grand-père amérindien violé dans un pensionnat qui reste digne, celui d’une femme stérilisée qui a perdu son frère de 7 ans sous les coups de ceux qui voulaient le désindianiser, celui de sa mère qui a élevé ses dix enfants seule à la mort de son père, celui d’un enfant qui partage ses crayons. Et le sien, marqué mais lumineux, allié à un cœur battant au rythme de la « Terre mère ».

Portrait réalisé par Estelle Brattesani

⇒ Lire notre dossier « Le printemps de la médecine intégrative » dans notre n° 158 (mai-juin 2025) : 

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