Énergie

Rejet de gaz radioactif de la centrale nucléaire de Golfech : EDF condamnée par la justice

En 2016, la centrale nucléaire de Golfech, dans le Tarn-et-Garonne, a rejeté en quelques minutes une quantité très importante de radioactivité dans l’environnement. Le 9 septembre 2022, après un combat mené pendant des années par le Réseau Sortir du nucléaire et plusieurs associations pour tenter de faire reconnaître par la justice la culpabilité d’EDF, la cour d’appel de Bordeaux a condamné la compagnie à réparer le préjudice moral subi par les associations.

 

48 000 euros : c’est la somme reçue par des associations comme le Réseau Sortir du nucléaire qui se sont battues pendant des années pour tenter de faire reconnaître par la justice la culpabilité d’EDF. Une victoire en demi-teinte, car EDF n’a pas été sanctionnée pénalement pour ce rejet toxique et n’est pas tenue légalement de faire bouger les lignes afin d’éviter que cela ne se reproduise.

◆ Dépassement du seuil autorisé

Le 19 octobre 2016, la centrale nucléaire de Golfech a laissé s’échapper un important rejet radioactif gazeux. La radioactivité rejetée a monté en flèche, au point de dépasser pendant 2 minutes le seuil d’alarme à la cheminée. Au total, 136 milliards de becquerels ont été relâchés dans la nature, dont 78 milliards sur cette seule séquence de 2 minutes. Ce dépassement n’est pas à prendre à la légère : les seuils de rejets, taillés « sur mesure » selon les propositions de l’exploitant, sont fixés très haut, en fonction d’un optimum économique et technique, et non de normes sanitaires.

Par ailleurs, selon certains chercheurs, de tels pics de rejets sont susceptibles d’entraîner des problèmes de santé chez les riverains.

Selon eux, des pics de rejets pourraient expliquer le surcroît de leucémies aux alentours des installations nucléaires (voir notamment les travaux de Ian Fairlie et Alfred Körblein sur le sujet). Plusieurs études font en effet état d’une telle corrélation. (Voir l’étude allemande KiKK en 2007 et l’étude de l’Inserm parue en 2012. Plus d’informations.)

◆ D’inquiétants dysfonctionnements

D’après le Réseau Sortir du nucléaire, cette pollution était « le résultat d’une série de dysfonctionnements aussi bien techniques qu’organisationnels, révélateurs d’une sûreté défaillante. Les gaines contenant le combustible nucléaire du réacteur 1, censées être parfaitement étanches, laissaient fuir la radioactivité. Ce problème était connu de l’exploitant depuis juin 2016. En outre, le dégazeur, qui permet de séparer les gaz radioactifs des effluents liquides afin que ceux-ci puissent être stockés pendant 30 jours minimum pour permettre la décroissance de la radioactivité, avait été mal utilisé et avait mal fonctionné. En conséquence, ces gaz avaient alors été rejetés directement dans l’environnement. »

Sachant que certains gaz nécessitent plus de 50 jours pour voir leur radioactivité divisée par 1 000, le non-respect de cette procédure n’était pas anodin. « Un tel rejet n’avait donc rien d’“évanescent” », pour reprendre l’expression de l’avocat d’EDF en première instance.

◆ Une aventure juridique pendant six ans

Des associations ont refusé qu’une telle pollution reste impunie. Après un dépôt de plainte le 28 novembre 2016, le Réseau Sortir du nucléaire a fait citer directement EDF devant le tribunal le 17 octobre 2017. L’Association française des malades de la thyroïde, les Amis de la Terre Midi-Pyrénées, France Nature Environnement Midi-Pyrénées, France Nature Environnement 82, la Sepanlog et Stop-Golfech-VSDNG se sont constitués partie civile.

Le 10 janvier 2019, malgré des faits accablants, le tribunal de police de Montauban a relaxé EDF.

Face à cette décision qu’elles ont jugée incompréhensible, les associations ont fait appel. Le 10 février 2020, la cour d’appel de Toulouse a reconnu qu’EDF avait bien commis des fautes dans le cadre de cette affaire, mais ne l’a pas condamnée.

Les associations ont alors déposé un pourvoi en Cour de cassation, accompagné d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC). Le 29 juin 2021, l’arrêt de la Cour de cassation a rouvert la voie à une potentielle condamnation pour EDF.

Le 1er avril 2022, une nouvelle audience s’est tenue à la cour d’appel de Bordeaux. Dans un arrêt rendu le 9 septembre 2022, celle-ci a reconnu les fautes commises par EDF et l’a condamnée à réparer le préjudice subi par les associations de protection de l’environnement du fait de l’atteinte aux intérêts collectifs qu’elles ont pour objet de défendre.

◆ Une impunité et des risques qui continuent

Si les associations se félicitent dans leur communiqué de presse du 12 septembre 2022 de cette condamnation, notons qu’EDF n’a pas été sanctionnée pénalement pour ce rejet toxique : c’est une condamnation uniquement civile et pécuniaire qui a été obtenue.

La situation à la centrale nucléaire de Golfech, année après année, continue d’inquiéter.

En 2022, l’Autorité de sûreté nucléaire considère toujours que les performances de la centrale en matière de sûreté nucléaire laissent à désirer, comme en témoigne un grand nombre d’incidents survenus en 2021 ; elle fait également état de « défauts de compétence et de maîtrise des activités » concernant la maintenance. Enfin, des défauts de corrosion sous contrainte sont soupçonnés sur le réacteur no 1.

Nous avons demandé à Marie Frachisse, la coordinatrice des affaires juridiques du Réseau Sortir du nucléaire si cette décision qui reconnaît la responsabilité d’EDF allait changer quoi que ce soit à l’état de la centrale et aux risques de fuite en cours et à venir, et si EDF allait devoir faire des réparations pour que ça ne se produise plus. « Non. Cette condamnation a surtout un poids moral et dissuasif et elle permet, par la médiatisation de l’affaire, que le grand public soit informé de ce type de pollution et des causes de celle-ci. »

Dans l’idéal, « c’est une condamnation pénale qui aurait dû être prononcée si dès la première instance, le juge avait reconnu la culpabilité d’EDF. C’est au final une condamnation uniquement civile qui a été obtenue du fait que seules les associations ont fait appel du premier jugement. »

Quelles dispositions devrait prendre l’État pour éviter ce genre de rejet radioactif ? Pour Marie Frachisse, la réponse est claire : « Arrêter le nucléaire. »

 

👉Retrouvez le communiqué du 12 septembre 2022

👉Retrouvez le dossier juridique 

 

Article par Estelle Brattesani

Photo principale par CC BY-SA 3.0

 

 

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