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Droit de réponse : Le Linky est-il obligatoire ?

Des militants anti-Linky ont appelé au boycott de Nexus. La raison ? Dans le dernier magazine Nexus n° 146 de mai-juin 2023, un des articles du dossier sur le portefeuille d’identité numérique européen qualifie le compteur Linky d’« a priori obligatoire ». Qu’en est-il vraiment ? Qu’en dit la loi… et ses interprétations 

◆ A priori… a posteriori

« S’il est a priori obligatoire… » en parlant du compteur controversé, voici la phrase qui a fait bondir tous ceux qui se battent depuis des années contre l’installation à marche forcée des compteurs électriques Linky. Certains n’ont pas hésité à appeler au boycott du magazine, quand d’autres l’accusent de « répéter le narratif globaliste »…

En premier lieu, nous aimerions rappeler que Nexus est un des seuls médias à s’être autant engagé contre le déploiement de ce compteur accusé d’engendrer des troubles chez les personnes électrohypersensibles, et soupçonné de pouvoir récolter des données de consommation portant atteinte à la vie privée.

De nombreux articles ont ainsi été publiés à ce sujet. Exemples ici, ici et .

Il n’empêche, la formulation choisie par l’auteure, « a priori », a fait l’objet d’une vive polémique sur les réseaux sociaux, les opposants du Linky insistant : « Le compteur Linky n’est pas obligatoire ! »

C’est bien l’expression « a priori » qui a été mal comprise. Celle-ci signifie, parmi plusieurs sens, « avant tout examen approfondi ; de prime abord » (Larousse). Ainsi, quand l’auteure de l’article sur le portefeuille d’identité numérique européen écrit que « [le Linky] est a priori obligatoire », cela doit se comprendre de la manière suivante : étant donné l’énergie et les moyens déployés par Enedis et l’État pour installer ce compteur partout, étant donné le fait que ce déploiement est encadré par des directives et des décrets à valeur d’application, et étant donné le fait qu’aucune loi ne vient dire expressément le contraire, on eût pu penser que l’installation du Linky fût obligatoire a priori.

A posteriori cependant, l’expérience et l’examen approfondi de la question nous imposent la conclusion suivante : la loi prévoit bien une obligation d’installation pour Enedis à hauteur de 80 % du parc national de compteurs électriques, mais pas d’obligation d’acceptation d’installation pour l’usager.

Nous ajoutons également que le sujet est complexe et qu’il a donné du fil à retordre à nos journalistes : le service presse d’Enedis a notamment fait preuve d’une exceptionnelle pugnacité pour défendre la position de l’entreprise.

De l’obligation pour Enedis

Enedis (ex-ERDF, entreprise chargée de la gestion et de l’aménagement du réseau électrique en France) s’était engagée à remplacer au moins 80 % des compteurs électriques par des compteurs communicants en 2020, mission régentée par la directive européenne de 2009, , mise à jour par celle de 2019.

Face à la carte de cette directive très souvent sortie, l’association Robin des Toits rétorque qu’elle « impose au gestionnaire de l’énergie de mettre en œuvre les dispositifs de comptage pour mesurer la consommation réelle d’électricité de chaque client », mais que « le type de compteur n’est pas imposé pourvu que cette consommation soit mesurée et que le consommateur final soit informé de cette consommation. »

Cette directive européenne est transposée en droit français dans la loi sur la transition énergétique d’août 2015, et le décret de codification réglementaire de décembre 2015, qui en découle. Tous ces textes composent le Code de l’énergie.

À l’article R341-8 dudit code, l’objectif d’Enedis est fixé de la manière suivante : « D’ici au 31 décembre 2020, 80 % au moins des dispositifs de comptage des installations d’utilisateurs raccordées en basse tension (BT) pour des puissances inférieures ou égales à 36 kilovoltampères sont rendus conformes aux prescriptions de l’arrêté prévu à l’article R341-6, dans la perspective d’atteindre un objectif de 100 % d’ici 2024. »

Cette obligation des 80 % de couverture est assortie de sanctions administratives prévues dans l’article L142-32 en cas de manquement à l’atteinte de son objectif.

Sur son site internet, Enedis persiste à agiter l’obligation d’installation et argue que de ce fait aucun « droit au refus » n’est permis.

◆ Une installation à marche forcée

Mais le déploiement des compteurs communicants Linky a fait face à une résistance inattendue et a mis à mal l’espoir d’Enedis d’équiper 100 % des foyers français en compteurs Linky en 2024.

En 2023, l’objectif légal est cependant atteint avec 92 % des foyers français équipés du compteur Linky ; ce grâce à l’insistance très incitative d’Enedis.

Car l’entreprise, en effet, n’a pas hésité à déployer les grands moyens, allant jusqu’à harceler les usagers à leur domicile, pour qu’ils acceptent l’installation du nouveau compteur, quand celui-ci n’était pas installé en leur absence sans aucune demande d’autorisation préalable.

Face à ceux qui, disposant d’un compteur situé à l’extérieur de leur hébergement, le barricadaient pour empêcher les techniciens d’Enedis d’y accéder, l’entreprise envoyait des lettres dans lesquelles elle annonçait « se réserver le droit d’engager une procédure judiciaire » contre ces usagers récalcitrants au nouveau compteur.


Mais alors que l’avertissement devait être transformé dans les quinze jours en une poursuite officielle, il n’en a rien été, et ce pour une raison simple : si dans le cadre de sa mission de service public, Enedis a l’obligation d’installer ces compteurs (à hauteur d’au moins 80 % du parc national, objectif d’ores et déjà atteint), il n’existe aucune obligation pour les usagers d’accepter l’installation.

Au sujet de ces lettres d’avertissement, Nexus a posé la question à Enedis : « Quelles suites y ont été données ? Quelles mesures pénales prévues par la loi sanctionnent-elles le refus d’installation ? »

Enedis botte en touche : « L’installation du compteur Linky se déroule dans de bonnes conditions dans la très grande majorité des cas » et « Enedis privilégie constamment le dialogue avec tous ses clients et est à l’écoute des clients qui refusent la pose du compteur Linky. »

◆ Pour l’usager : pas de sanction, pas d’obligation

Il n’y a pas d’obligation pour l’usager d’accepter l’installation du compteur Linky, c’est ce que conclut l’affaire traitée devant la cour d’appel de Bordeaux en novembre 2020.

« Ainsi, contrairement à ce qu’affirme la société Enedis, aucun texte légal ou réglementaire, européen ou national n’impose à Enedis, société commerciale privée, concessionnaire du service public, d’installer au domicile des particuliers des compteurs Linky, qui entrent certes dans la catégorie des compteurs intelligents ou communicants, c’est-à-dire pouvant être actionnés et interrogés à distance, mais n’en sont en réalité qu’un modèle, utilisant la technologie CPL sur le réseau à basse tension comme premier niveau de communication, un deuxième niveau étant assuré par le réseau de téléphonie mobile GPRS ou Edge. »

S’agit-il pour autant d’un vide juridique ? Contacté par Nexus, Me Arnaud Durand, avocat au barreau de Paris ayant défendu les plaignants opposés au compteur Linky dans cette affaire, précise : « Il n’y a aucun vide juridique. […] En droit, l’existence d’une obligation ne se conçoit qu’à travers l’existence d’une sanction. C’est simple : pas de sanction, pas d’obligation. Quant à l’obligation invoquée par Enedis, à son propre encontre, elle ne lui permet aucunement de déroger aux droits des consommateurs qu’Enedis est tenue de respecter, y compris lorsque l’objectif est d’installer des compteurs communicants. […] Au final Enedis n’est parvenue qu’à échafauder une apparence d’obligation, afin d’intimider le plus grand nombre. Mais en droit, il n’en est rien. »

Ainsi, étant donné le fait qu’aucune sanction n’existe (si l’on exclut les tentatives forcenées d’Enedis pour extorquer le consentement à l’installation de ces compteurs), rien n’interdit au consommateur de refuser l’installation.

◆ Le casse-tête des jurisprudences

En 2016, Philippe Monloubou, alors président du directoire d’ERDF (ancêtre d’Enedis) avoue cependant devant l’Assemblée nationale (à 0 min 15 s) : « Non, il n’y aura pas de client exclu du dispositif Linky, sauf ceux qui ne voudront pas ouvrir leur porte, parce que, nous, on n’a pas vocation, on n’est pas habilités à forcer la porte des clients pour ceux qui in fine ne voudraient pas nous ouvrir ou qui résisteraient. »

Ainsi, aucune poursuite n’a jamais été engagée par Enedis contre ceux qui barricadaient leur ancien compteur, faute de base juridique suffisamment solide.

À l’inverse, plusieurs procédures ont été lancées à l’encontre d’Enedis par des usagers espérant contraindre l’entreprise à retirer ses compteurs. Sur toutes les affaires jugées, la plupart sont favorables à Enedis, et une seule a effectivement abouti au retrait du compteur, pour cause d’électrosensibilité.

Le reste du temps, l’entreprise n’a le plus souvent été condamnée qu’à poser des filtres anti-ondes chez les personnes souffrant d’électrohypersensibilité, ou à modifier ses installations en cas de risques pour la sécurité incendie. Nexus a également déjà publié sur cette affaire récente où Enedis a été condamnée à modifier l’installation d’un compteur chez une cliente pour non-respect des normes de sécurité. Enedis a fait appel.

La plupart du temps cependant, Enedis a plutôt tendance à gagner ses procès. Cette affaire, jugée à Paris en cour d’appel en mai 2022, appuie le caractère réglementaire de la mission d’Enedis en tant que concessionnaire de service public : « La société Enedis, en tant que gestionnaire du réseau public d’électricité, a l’obligation, dans le cadre de sa mission de service public, d’installer ces équipements de comptage, de les entretenir et de les renouveler. Ces compteurs électriques constituent des ouvrages des réseaux publics de distribution d’électricité relevant de la propriété des collectivités territoriales et n’appartiennent donc pas aux usagers de sorte que l’obligation de déployer ces compteurs communicants s’impose à la société Enedis […] »

De plus, Enedis rajoute dans son argumentaire que les compteurs électriques ne sont pas la propriétés des usagers, mais des collectivités territoriales (les communes en l’occurrence) et qu’il s’agit d’une infrastructure du réseau électrique au même titre que les câbles et les poteaux. Argument qui n’a « aucun intérêt juridique » selon Arnaud Durand : « Si SFR installe une antenne relais sur le mur de votre maison, est-ce que le fait que vous ne soyez pas propriétaire de l’antenne relais a la moindre importance ? Non, la question de l’obligation (ou de l’interdiction) ne suit pas le régime de la propriété. »

Les appelants ont été condamnés à payer 1 500 euros à Enedis. Cependant, le procès a tout de même constaté qu’au regard du Code de l’énergie, il était possible de s’opposer au relevé des consommations personnelles d’électricité en temps réel par l’entreprise : « L’usager peut donc s’opposer à l’enregistrement de la courbe de charge et au traitement des données détaillées, sans qu’il puisse en être déduit, comme le font les appelants, un droit à s’opposer à l’installation du compteur Linky. »

De même, en mai 2022, le tribunal judiciaire de Mâcon a débouté 104 opposants à l’installation du compteur Linky qui réclamaient un « droit au refus ». Ils ont été condamnés à verser 5 000 euros à Enedis pour le remboursement des frais de justice.

◆ Vers une obligation de fait ?

Changement de tactique pour Enedis : la facturation incitative, telle que préconisée par la Commission de régulation de l’énergie.

Fin 2022, l’entreprise applique une nouvelle règle pour les clients non équipés du compteur Linky (qui transmet automatiquement les données de consommation au fournisseur) : les récalcitrants devront faire eux-mêmes un relevé annuel sous peine de devoir s’acquitter d’une surfacturation, qu’Arnaud Durand appelle « une amende privée » et contre laquelle il déclare être actuellement en procès.

Voici ce à quoi s’attendre prochainement, et nos quelques conseils pour continuer à résister :

  • 2022-2024 : pas de surfacturation si l’on fait soi-même son relevé une fois l’an. Sinon, un surcoût de 4,16 €/mois (50 €/an) est prévu. Aussi, pour éviter les mauvaises surprises de facturation, refusez toujours l’option du prélèvement automatique et acquittez-vous de vos factures d’électricité par chèque ou virement à effectuer vous-même.
  • À partir de 2025 : selon le rapport de la CRE du 25 novembre 2021, une surfacturation de 64 €/an (5,33 €/mois) est prévue pour le « service » proposé par Enedis correspondant à l’intervention d’un technicien qui viendra réaliser le relevé de consommation à la place de l’usager.
  • Jusqu’au 1er août 2023, si l’on veut changer son compteur Linky pour un ancien compteur, il est théoriquement possible d’acheter un compteur CBE (compteur électronique non communicant) sur Internet. Cependant, pour que ce compteur donne droit à un accès au réseau électrique, il faut qu’il soit installé et scellé par un technicien d’Enedis et assorti d’un boîtier communicant à l’extérieur du domicile. Autant dire que c’est un véritable parcours du combattant pour obtenir ce service particulier. Car si cette prestation (raccorder un compteur CBE au réseau Enedis et ouvrir un contrat d’électricité) apparaissait toujours au catalogue des prestations d’Enedis (option n° 2 à la page 30), l’entreprise ne semble pas prompte à honorer ce service, son attaché de presse insistant : « Il n’est pas possible d’installer un compteur d’ancienne génération. » Cette option restait valable, selon Enedis, pendant la période de transition où les compteurs Linky n’étaient pas encore disponibles partout. « Dans les zones encore non équipées de compteurs Linky et de concentrateurs associés, les compteurs électroniques d’ancienne génération pouvaient rester nécessaires pour certains clients ayant notamment souscrit l’offre Tempo. »
    Cette option disparaîtra de la version du prochain catalogue mis à jour le 1er août 2023. Tout comme l’option n° 3 (page 31) qui permet la « mise en place d’un système de télé-report des index », grâce à un petit boîtier raccordé au compteur par voie filaire auquel le technicien a accès sans avoir besoin d’entrer dans l’habitation.
  • En revanche, Enedis ne nous a pas indiqué que l’option n° 1 du catalogue allait disparaître en août 2023, celle qui consiste à installer une sortie téléinformation au compteur, qu’il soit communiquant comme le Linky, ou non. Cette installation permet aux utilisateurs de se connecter à leur compteur électrique pour recueillir des informations de consommation et de recevoir des services complémentaires.

    • Pour tout déménagement, changement de fournisseur, de contrat, ou de puissance électrique, ou simplement en cas de panne du compteur, un compteur Linky sera automatiquement proposé. Et les recours semblent particulièrement difficiles. Enedis pourrait vous faire du chantage : acceptez le Linky ou passez-vous d’électricité ! Chantage probablement illicite puisqu’en droit, l’électricité est un bien de première nécessité : aux termes de l’article 121-1 du Code de l’énergie, est reconnu « le droit de tous à l’électricité, un bien de première nécessité […] ».

    Seuls ceux qui ont refusé l’installation du Linky à leur domicile de prime abord et ne comptent exercer un quelconque changement à leur offre d’électricité semblent exempts de toute « obligation d’installation ». Pour combien de temps?

    ◆ Quid du site poal.fr ?

    Dans notre article sur le portefeuille d’identité numérique (magazine Nexus n°146 de mai-juin 2023), un deuxième point a fait grincer des dents : nous incitions nos lecteurs à refuser catégoriquement le compteur Linky et les dirigions vers le site de la Plateforme Opérationnelle Anti-Linky (POAL), pour la simple raison que le site semble plutôt ergonomique et qu’il propose de nombreuses informations fouillées.

    Cependant, nous avons été alertés par un lecteur : un des fondateurs du site est également le président d’une entreprise vendant des filtres anti-ondes CPL (les ondes nocives émises par les compteurs Linky). Ainsi, sans présumer ni de la qualité du site ni de l’efficacité, ou non, de ces filtres, il s’agit d’un conflit d’intérêts manifeste, puisque les activités militantes du site poal.fr ont parfois servi à faire la promotion de ces filtres, comme c’est le cas ici.

    Ainsi, si vous souhaitez vous informer auprès de sites internet bien fichus pour pouvoir être correctement orientés dans votre lutte contre le compteur vert fluo, nous vous conseillons plutôt les sites suivants :

    👉Lire notre article sur le portefeuille numérique qui a fait polémique dans notre numéro 146 (mai-juin 2023) vendu en kiosque et en ligne :

    Article par l’équipe du magazine Nexus (modifié le 9 juin 2023)

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