Société

Projet de loi sur l’aide à mourir͏ : saura-t-on refermer la boîte de Pandore ?

Adoptée ce mardi 27 mai 2025 en première lecture à l’Assemblée nationale, la proposition de loi sur l’aide à mourir sera examinée à l’automne par le Sénat. Autoriser l’euthanasie et le suicide assisté n’est pas anodin. Ce projet sociétal majeur divise et fait réagir, surtout au regard des expériences d’autres pays, où ce dispositif existe déjà.

◆ Un projet loin de faire l’unanimité

Mardi dernier, en fin d’après-midi, les députés ont adopté à 305 voix contre 199 la proposition de loi sur l’aide à mourir, alors que celle sur les soins palliatifs a été adoptée à l’unanimité quelques heures auparavant. C’est dire si le sujet divise.

Si cette loi passait, une personne dite « en fin de vie » pourrait, sous certaines conditions, obtenir légalement le droit de mettre un terme à sa vie, grâce à une substance létale qu’on lui fournirait (suicide assisté), ou demander qu’un médecin ou un infirmier la lui administre, si elle n’est pas en capacité physique de le faire par elle-même (euthanasie).

◆ Une bonne intention pouvant aboutir à des dérives

Même s’il semble partir d’un bon sentiment (offrir la possibilité à une personne condamnée d’abréger ses souffrances), ce projet de loi ne va pas sans poser problème, au regard des possibles dérives ou abus qu’il pourrait engendrer.

Le jour même du vote à l’Assemblée nationale, le Dr Louis Fouché a publié une vidéo sur son compte X où, en tant que médecin anesthésiste-réanimateur, il a fait part de son inquiétude concernant ce projet de loi. Habituellement mesuré sur ce sujet, il s’est dit choqué par « les amendements qui sont pris et les discussions qui ont cours au Parlement […], avec des transgressions majeures qui sont choquantes y compris pour des gens qui seraient inclus dans des associations au droit à mourir dans la dignité ».

◆ « L’ouverture d’un marché de la mort », selon le Dr Fouché

Pour le Dr Fouché, les lois Leonetti et Clayes-Leonetti offrent déjà des outils « performants » pour accompagner la fin de vie, que ce soit « au niveau législatif » ou concernant « les modalités pratiques quotidiennes d’accompagnement des malades en fin de vie », « permettant y compris la sédation terminale jusqu’au décès ».

Avec ce nouveau projet de loi, « il ne s’agit en rien de fin de vie, souligne-t-il. Il s’agit du suicide assisté et de l’euthanasie, qui sont des transgressions majeures. » Allant au bout de sa pensée, Louis Fouché va jusqu’à affirmer qu’« il s’agit de l’ouverture d’un marché de la mort qui est en train d’être faite méthodiquement et dont nous sommes exclus méthodiquement aussi. […] Je pense qu’il ne faut absolument pas laisser passer ce projet tel qu’il est et qu’il faut s’y opposer de toutes nos forces […], car il y a vraiment une atteinte à la dignité de la personne humaine. »

◆ Un délai de réflexion très court

Parmi les mesures qui ont choqué le Dr Fouché, se trouve « le délai de réflexion qui est de deux jours uniquement et de 15 jours pour donner accès à tout ça » (sic).

Plus exactement, le délai de réflexion est « d’au moins deux jours à compter de la notification », ce qui signifie que la personne demandeuse peut réfléchir plus longtemps si elle le souhaite, avant de confirmer sa demande. Mais si elle ne veut pas réfléchir plus longtemps, le texte l’autorise en effet à confirmer sa demande au bout de 48 heures seulement. De son côté, le médecin saisi doit se prononcer dans un délai de quinze jours (le texte ne précise pas s’il s’agit d’un délai incompressible à respecter ou s’il s’agit d’un délai maximum, auquel cas le médecin pourrait se prononcer dans un délai plus bref). La réalisation effective de l’acte létal pourrait donc se faire très rapidement après la demande.

◆ Des textes souvent flous dans les autres pays

À titre comparatif, la loi belge n’indique aucun délai, mais stipule que la demande du patient doit être « formulée de manière volontaire, réfléchie et répétée ». De son côté, le médecin doit « s’assurer de la persistance de la souffrance physique ou psychique du patient et de sa volonté réitérée. À cette fin, il mène avec le patient plusieurs entretiens, espacés d’un délai raisonnable au regard de l’évolution de l’état du patient. » Le texte est flou, mais laisse imaginer (sans certitude) un délai de réflexion plus long que deux jours.

Aux Pays-Bas, où l’euthanasie et le suicide assisté sont autorisés dès l’âge de 12 ans, aucun délai n’est indiqué non plus et la notion de réitération de la demande est absente du texte législatif.

◆ Quid de la notion de « mort naturellement prévisible » ?

Dans l’Oregon, aux États-Unis, le patient doit réitérer sa demande 15 jours après la première. Au Canada, le délai initial de dix jours de réflexion, pour les personnes dont « la mort naturelle est raisonnablement prévisible », a été supprimé au fil du temps. En revanche, pour les personnes dont « la mort n’est pas naturellement prévisible », il existe une période de 90 jours minimum d’évaluation, qui peut être réduite si la personne est susceptible de perdre sa capacité décisionnelle avant la fin de ces trois mois.

À noter qu’en France, la notion de « mort naturellement prévisible » n’est pas mentionnée dans le projet de loi. Pour être éligible, le patient doit être atteint « d’une affection grave et incurable […] qui engage le pronostic vital, en phase avancée […] ou en phase terminale ».

◆ Sanction prévue pour les « opposants », mais pas pour les promoteurs

Louis Fouché s’indigne par ailleurs que le texte français prévoie ce qu’il appelle « la censure des opposants », « avec des peines de prison allant jusqu’à deux ans d’emprisonnement pour ceux qui s’opposeraient, c’est-à-dire qui essaieraient de dissuader quelqu’un d’aller vers un suicide assisté ou une euthanasie ». Par contre, note-t-il avec justesse, « aucune sanction n’est prévue pour ceux qui pousseraient au suicide assisté ». Une disparité qui pose en effet question.

◆ Les contrôles a posteriori : une porte ouverte aux abus ?

Le Dr Fouché alerte également sur « l’absence de contrôle » en amont. « Ce qui est prévu par la proposition de loi en France, c’est un contrôle a posteriori. Nous savons, de par les expériences belge, hollandaise, canadienne, que ces contrôles a posteriori sont illusoires, concernent moins de 5 % des dossiers et laissent la place, finalement, à l’émergence y compris de meurtres […] qui passeront complètement inaperçus. »

Le site de l’Institut européen de bioéthique (IEB) fait notamment l’analyse de rapports émanant des autorités chargées de surveiller les décès par euthanasie dans la province de l’Ontario au Canada. « Entre 2018 et 2023, indique l’IEB, sur les 428 cas de non-conformité qui ont été recensés, seuls quatre d’entre eux ont donné lieu à un signalement auprès d’un organisme de réglementation et aucun cas n’a été signalé à la police. » Ils n’ont de ce fait entraîné ni enquête ni condamnation. « Face à ce constat, la question se pose de savoir si ce système est vraiment efficace pour protéger les personnes vulnérables de potentiels abus », commente l’institut.

◆ Une logique utilitariste sous-jacente ?

Enfin, Louis Fouché cite dans sa vidéo « un parlementaire anglais » qui aurait évoqué l’idée d’alléger les frais de succession pour les personnes âgées choisissant le suicide assisté, ce qui constituerait une sorte de cadeau fiscal (et donc une incitation) en échange des économies réalisées sur les frais de santé, les versements de retraite et les prestations sociales pour ces personnes. Nous n’avons pas cependant réussi à trouver cette source pour la vérifier.

Il n’empêche qu’il est fort possible qu’il y ait une logique utilitariste déguisée derrière ce projet de loi. Peut-être est-ce d’ailleurs ce qui motive Matthias Savignac, le président de la Mutuelle générale de l’Éducation nationale (MGEN), à militer en sa faveur ? (Lire la tribune parue dans Le Monde du 10 avril 2024, cosignée par Matthias Savignac et Jonathan Denis, président de l’Association pour le droit de mourir dans la dignité.)

◆ 1,4 milliard d’économies annuelles potentielles sur les dépenses de santé

Dans une remarquable étude publiée sur le site de la Fondation pour l’innovation politique (Fondapol), intitulée « Les non-dits économiques et sociaux du débat sur la fin de vie »*, Yves-Marie Doublet et Pascale Favre font le calcul que l’aide à mourir (c’est-à-dire l’euthanasie et/ou le suicide assisté) pourrait générer en quelques années en France jusqu’à 1,4 milliard d’euros d’économies annuelles de dépenses de santé.

Pour ce calcul, ils ont transposé les chiffres et la législation du Québec à la France, sachant qu’actuellement au Québec, les décès par AMM – aide médicale à mourir – représentent 7,3 % des décès totaux, ce qui correspondrait en France à 46 000 décès par an, soit 177 euthanasies ou suicides assistés par jour !

◆ Au Canada, un élargissement constant des critères d’admissibilité

Il faut souligner qu’au Canada, le nombre de décès par AMM est en constante augmentation, en lien avec un élargissement continu des critères d’admissibilité, qui incluent toujours davantage de profils de patients. Au Québec (province du Canada pionnière en la matière), la progression des chiffres est particulièrement fulgurante, comme l’indique le rapport annuel 2023-2024 de la commission québécoise sur les soins de fin de vie.

Et ce n’est pas fini, puisque le 30 octobre dernier, la possibilité de faire une demande anticipée est entrée en vigueur au Canada pour les personnes atteintes de maladies graves et incurables pouvant mener à l’inaptitude (maladies neurodégénératives comme Alzheimer ou autres). À partir de 2027, les personnes souffrant uniquement de troubles mentaux devraient également pouvoir accéder à l’AMM dans ce pays (ce nouveau critère devait entrer en vigueur en 2023, mais a été reporté à 2027).

◆ En France, une « première loi » qui sera un « pied dans la porte »

Ce type d’élargissement permanent des critères d’admissibilité sera vraisemblablement ce qui se produira en France si la loi est adoptée. Pour s’en convaincre, il suffit d’écouter les propos tenus par Jean-Louis Touraine, professeur de médecine et ex-député LREM, membre du comité d’honneur de l’Association pour le droit à mourir dans la dignité (ADMD).

Dans un extrait vidéo diffusé sur X par Alexandre Keller (dont nous n’avons pas trouvé la source pour la dater et en connaître le contexte), Jean-Louis Touraine tente visiblement de rassurer le public qui se trouve devant lui en expliquant que, « vu la frilosité que notre pays véhicule sur ces questions », tous les critères d’admissibilité ne seront pas compris dans « la première loi ». Celle-ci permettra surtout de mettre « le pied dans la porte », puis « il faudra revenir tous les ans et dire : on veut étendre ça ».

◆ L’élargissement de la loi aux mineurs et aux malades mentaux déjà envisagé

La « première loi » pourrait donc être, en réalité, un cheval de Troie ou plutôt une fusée à plusieurs étages, dont les niveaux suivants permettront d’inclure progressivement dans le dispositif « les mineurs », « les maladies psychiatriques », « les malades d’Alzheimer », selon l’énumération (peut-être non exhaustive) faite par Jean-Louis Touraine.

Quant à la justification de ces élargissements, elle est déjà toute trouvée. Il suffira de dire : « Ce n’est quand même pas normal qu’il y ait des malades, des Français, parce qu’ils ont telle forme de maladie, qui y ont droit, et puis les autres qui n’y ont pas droit. Donc, il faudra introduire cette égalité », argumente le professeur. Au moins, le plan est clair et on sait dans quelle direction l’on va, si cette « première loi » passe.

Article par Alexandra Joutel

* « Les non-dits économiques et sociaux du débat sur la fin de vie » (Fondapol, 2025), par Yves-Marie Doublet, docteur en droit, chargé d’enseignement à l’espace éthique de l’Assistance publique – Hôpitaux de Paris (AP-HP), et Pascale Favre, médecin, titulaire d’un DEA en droit et économie de la santé et doctorante en philosophie.

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