Santé

Perturbateurs endocriniens : les lobbies font plier l’UE

La Commission européenne retarde de quatre ans le projet de réglementation des perturbateurs endocriniens sous la pression des lobbies de l’industrie chimique et des pesticides.

Bien que toujours en négociation, le Transatlantic Trade and Investment Partnership (TTIP) a déjà frappé ! Les lobbies de l’industrie chimique et des pesticides ont fait un tel travail de sape auprès de la Commission européenne que le projet de réglementation des perturbateurs endocriniens (PE) est retardé d’au moins quatre ans. Un vrai cas d’école ! C’est ce que révèlent de façon très documentée les rapports des deux ONG, Corporate Europe Observatory (CEO) et Pesticide Action Network (PAN) : A toxic affair – How the chemical lobby blocked action on hormone disrupting chemicals (Stéphane Horel¹, mai 2015, CEO), et Hundreds of disclosed documents reveal… (PAN).

Bruxelles avait décidé, en 2009, d’établir les critères permettant d’identifier et de réglementer les PE. La date butoir avait été fixée à décembre 2013. Mais en décembre 2013, rien ne se passe, la publication des critères définissant les PE est reportée à une date indéterminée. Sous quel prétexte ? La publication des critères doit être « soutenue par une étude d’impact, incluant une consultation publique », en raison « des impacts potentiels sur l’industrie chimique et le commerce international », explique, en juillet 2013, le secrétariat général de la Commission.

Un intense lobbying américain

Comment expliquer l’abandon de la publication des critères définissant les PE par Bruxelles ? C’est ce qu’on cherché à savoir CEO et PAN qui ont toutes deux formulé une demande d’accès aux documents internes de la Commission.
Après avoir épluché des centaines de courriels, de mémos, les deux ONG ont restitué, dans des rapports distincts et indépendamment l’une de l’autre, toutes les coulisses des événements. Et le résultat est stupéfiant. Il montre que de mars à juin 2013, les contacts entre les lobbyistes de l’industrie américaine, leurs homologues européens et plusieurs services de la Commission se sont enchaînés à un rythme soutenu sur la question des PE. Les secteurs de la chimie et des pesticides ont inondé la Commission de leurs propres expertises afin de contrecarrer – avec succès – le rapport réalisé par le professeur Andreas Kortenkamp, Sur la stratégie européenne en matière de perturbateurs endocriniens, un état des lieux accablant, qui démontrait la toxicité des PE même à faible dose.

Une réglementation reportée en 2017

Ne lâchant rien, les lobbyistes américains des pesticides (CropLife America) et de la chimie (American Chemistry Council) font passer le message que la réglementation escomptée « apparaît en contradiction avec les négociations américano-européennes en vue d’un TTIP ». Message reçu 5 sur 5 par Bruxelles ! « Conflits d’intérêt, ’fabrique du doute’, chantage économique, lobbyistes rémunérés, mails en douce aux dirigeants de la Commission… », l’enquête de CEO conduite par la journaliste Stéphane Horel, montre comment les lobbies ont systématiquement entravé le travail de la direction générale (DG) Environnement de la Commission mandatée pour établir les fameux critères définissant les PE.

Aujourd’hui, où en est-on ? La Commission Juncker a désinvesti la DG Environnement de son rôle moteur dans la construction de la réglementation, qui ne verra pas le jour avant 2017. Sous quelle forme, avec quel contenu, on peut se le demander…

1. La journaliste Stéphane Horel est également l’auteure d’Endoc(t)rinement (2014), un remarquable film d’investigation (18 mois d’enquête) décryptant la bataille d’influence des lobbys de la chimie, du plastique et des pesticides au cœur des institutions européennes, autour des perturbateurs endocriniens.
 

POUR ALLER PLUS LOIN

 

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> A savoir sur les perturbateurs endocriniens :

Présents dans les meubles, les contenants alimentaires, les pesticides, les cosmétiques, etc., les perturbateurs endocriniens sont des substances chimiques (bisphénol A, phtalates…) qui interfèrent avec le fonctionnement du système hormonal des êtres vivants, avec des risques sanitaires et environnementaux majeurs. Les perturbateurs endocriniens contribuent à l’augmentation d’incidence de l’infertilité, de cancers hormono-dépendants (sein, prostate, etc.), de troubles du développement ou du métabolisme…

« Près de 100 % des gens ont des niveaux détectables de perturbateurs endocriniens dans leur organisme », peut-on lire dans Introduction to Endocrine Disrupting (PDF en anglais), publié par Endocrine Society (déc. 2014).

Le coût sanitaire des perturbateurs endocriniens est évalué à 157 milliards d’euros par an, rien que dans l’Union européenne. C’est le résultat d’une série d’études conduites par une vingtaine de chercheurs américains et européens, parues, en mars 2015, dans le Journal of Clinical Endocrinology & Metabolism.