L’Ordre des médecins en guerre contre les soins « non conventionnels » News

L’Ordre des médecins en guerre contre les soins « non conventionnels »

Affolé par la multiplication de ce qu’il appelle les « pratiques de soins non conventionnelles », le Conseil national de l’Ordre des médecins vient de publier, en juin 2023, un rapport destiné à alerter sur l’absence de contrôle de ces pratiques et sur les risques de dérives thérapeutiques, voire sectaires, qui y sont liées. La chasse aux sorcières est ouverte !

Fleurs de lotus ou gélules ?

En dehors de la médecine moderne occidentale, point de salut ! Toute autre pratique, fût-elle ancestrale, est sujette à caution. C’est en tout cas l’impression qui ressort à la lecture du dernier rapport rédigé par la section Santé publique du Conseil national de l’Ordre des médecins (Cnom). Daté de juin 2023, ce document de 88 pages est consacré aux « pratiques de soins non conventionnelles et leurs dérives ». Tout un programme, illustré par un beau mandala dont les motifs évoluent de la fleur de lotus à la gélule, en passant par le symbole de l’euro € et des têtes de mort… Mais dans quel sens faut-il le lire ? En allant vers les gélules ou plutôt vers les fleurs de lotus ?

Non reconnues et non encadrées

L’Ordre des médecins a donc décidé de s’attaquer aux pratiques de soins non conventionnelles ou PSNC, dont la prolifération semble l’effrayer. L’essentiel de ses reproches est résumé en page 5 : « Les PSNC ne sont ni reconnues, au plan scientifique, par la médecine conventionnelle, ni enseignées au cours de la formation initiale des professionnels de santé. » De plus, « aucun encadrement des PSNC ni organisme de contrôle n’existe à ce jour ». Conséquences : ces pratiques « sauvages » sont susceptibles « d’entraîner les personnes les proposant dans un exercice illégal de la médecine ; d’être considérées comme dérives thérapeutiques » et « d’être considérées comme dérives sectaires, dès lors que cette dérive présente les caractéristiques d’une emprise mentale ».

Le rapport précise d’ailleurs que l’Ordre souhaite renouveler sa convention de partenariat avec la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes), une institution récemment revigorée par l’arrivée d’un nouveau chef à sa tête (Donatien Le Vaillant) et par l’organisation en mars 2023 des premières Assises nationales de lutte contre les dérives sectaires. Un nouveau souffle dont le Cnom semble vouloir profiter pour mettre en œuvre sa lutte contre les PSNC. Enfin, contre leurs dérives… De la même façon, l’Ordre souhaite signer une convention avec l’Office central de lutte contre les atteintes à l’environnement et à la santé publique (Oclaesp), qui relève de la gendarmerie nationale et intervient notamment en cas d’exercice illégal de la médecine.

Une trentaine de pratiques fichées

Concrètement, le Cnom dit avoir reçu 1 700 courriers (signalements ou interrogations) concernant les PSNC en 2022. Ceux-ci peuvent émaner aussi bien de médecins, de proches que des patients eux-mêmes. Le rapport ne dit pas quels étaient les objets de ces courriers : pratique illégale de la médecine, dérive thérapeutique ou risque sectaire ? Les pratiques signalées étaient notamment l’aromathérapie, l’auriculothérapie, la kinésiologie, l’haptonomie, la sylvothérapie, la lithothérapie et l’apithérapie.

Mais en annexes 2 et 3 du rapport, on trouve 26 fiches de pratiques repérées et étudiées par le Cnom et posant selon lui problème. Elles concernent : l’acupuncture, l’homéopathie, l’ostéopathie, l’access bars consciousness, l’aromathérapie, l’auriculothérapie, la biologie totale, la chondropraxie, les constellations familiales, l’étiopathie, les fleurs de Bach, la gemmothérapie, la géophagie, l’haptonomie, l’hydrothérapie du côlon, l’hydrotomie percutanée, l’hypnose, l’iridologie, le jeûne thérapeutique, la kinésiologie, la lithothérapie, la médecine anthroposophique, la médecine holistique, la médecine quantique (biorésonance), la naturopathie et la ventousothérapie. Auxquelles s’ajoutent les fiches établies par le Groupement d’appui technique sur les pratiques de soins non conventionnelles (GAT PSNC), aujourd’hui disparu, qui comprennent également la chiropraxie, la fish pédicure et la mésothérapie.

Néanmoins, les pratiques de soins non conventionnelles étant multiples, variées et de plus en plus nombreuses (400 recensées par l’Organisation mondiale de la santé, selon le rapport), toutes sont a priori suspectes et dans le collimateur du Cnom. Qu’elles soient pratiquées par des professionnels de santé ou non.

Trop de docteurs et de médecines

Pour mettre de l’ordre dans cette jungle, le bien nommé Ordre des médecins propose neuf actions à mettre en œuvre. En premier lieu, il faudrait encadrer l’usage du titre de « docteur ». Selon les auteurs du rapport, des praticiens diplômés d’un doctorat dans une autre discipline que la médecine abuseraient de ce titre pour faire croire qu’ils sont médecins. Ils proposent donc d’inscrire dans la loi (alinéa 7 de l’article L.412-1 du Code de la recherche) « l’obligation pour les titulaires d’un doctorat intervenant dans le domaine de la santé de mentionner à la suite de leur titre la spécialité dans laquelle ils ont soutenu leur thèse ».

Les auteurs souhaitent aussi qu’une disposition soit prise dans le Code de la santé pour que l’utilisation du terme « médecine » soit réservée aux seules professions médicales. « Aujourd’hui, n’importe qui peut se prévaloir d’une activité professionnelle comportant le mot “médecine” : médecine chinoise, médecine ayurvédique… » Or, ce mot n’étant pas protégé par la loi, à la différence du titre de « médecin », son utilisation « ne suffit pas à caractériser un exercice illégal de la médecine », déplore le rapport, qui ajoute que « le public n’est pas suffisamment éclairé pour faire la différence entre un médecin et un professionnel qui indique pratiquer une profession comportant la dénomination “médecine” ». S’ils le disent…

« La seule médecine qui semble trouver grâce aux yeux du CNOM est la médecine chimique »

Ce point en particulier, mais pas seulement, a fait réagir le Dr Éric Ménat, médecin généraliste à orientation homéopathie et phyto-aromathérapie. Le 23 juillet dernier, il a publié une longue diatribe contre ce rapport sur le site de l’Association internationale pour une médecine scientifique indépendante et bienveillante (Aimsib). « Pour l’Ordre, la médecine chinoise, la médecine ayurvédique, pour ne prendre que ces deux exemples ancestraux, ne devraient plus avoir le droit d’utiliser le terme de “médecine”. Mais qui serions-nous pour leur interdire cela alors que ces approches thérapeutiques sont utilisées par des milliards de personnes sur terre ? […] La seule médecine qui semble trouver grâce aux yeux du CNOM est la médecine chimique et soi-disant scientifique qui n’existe pourtant que depuis 50 ou 60 ans en réalité », vitupère-t-il, tout en considérant que « si le terme “médecine” devait être, un jour, réservé à la seule médecine chimique, ce serait une régression dramatique pour l’avenir de notre société ».

Freiner, voire empêcher les formations

Les facultés de médecine sont également dans la ligne de mire du rapport. Nombre d’entre elles se sont ouvertes ces dernières années et proposent à leurs étudiants, ou même à un public plus large, des diplômes universitaires (DU) dédiés à l’enseignement de PSNC. Jugeant sans doute qu’il s’agit là d’une dérive laxiste, l’Ordre entend « rappeler aux Doyens que les facultés de médecine doivent réserver l’inscription aux diplômes universitaires […] aux seuls étudiants en médecine, voire à d’autres étudiants des professions de santé » et « interdire l’enseignement des PSNC par l’obtention d’un DU au sein des facultés de médecine ». Carrément ! Cette position de repli risque de faire grincer des dents certains universitaires. Le 4 novembre 2022, dans Les Dernières Nouvelles d’Alsace, le professeur de psychiatrie Fabrice Berna, de l’université de Strasbourg, exprimait un tout autre point de vue. Pour lui, « c’est le rôle de l’université d’enseigner de façon critique les médecines complémentaires, elle est la seule à garantir une démarche et une exigence scientifiques ». Cela en réponse au rapport d’activité 2021 de la Miviludes, qui s’inquiète que la médecine anthroposophique soit enseignée en formation continue à l’université de Strasbourg.

De même, le Cnom veut inciter Pôle emploi à mettre de l’ordre dans son Répertoire opérationnel des métiers et des emplois (ROME), qui « référence de nombreux métiers n’ayant pas de diplômes reconnus par l’État » et dont la pratique peut aboutir à un exercice illégal de la médecine. De manière plus générale, le Conseil souhaite travailler en partenariat avec la Direction régionale et interdépartementale de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités (Drieets) pour « mettre en place des procédures de contrôle des formations professionnelles ».

Vers une grande traque ?

Parmi ses autres propositions, l’Ordre des médecins souhaite renforcer ses coopérations avec différentes instances (Miviludes, Oclaesp, préfectures, Drieets, associations…), afin de « mettre en place un système territorialisé et coordonné d’actions » en vue de « garantir la sécurité et la meilleure prise en charge possible des patients ». Un véritable plan de guerre pour traquer ce qui semble être une dangereuse menace pour les patients ! En page 9 pourtant, le rapport rappelle que 71 % des Français ont déjà eu recours à une PSNC selon Le Quotidien du médecin. Et d’après le site de l’Agence des médecines complémentaires adaptées (A-MCA), un Français sur deux aurait recours à ces pratiques. La moitié de la population française serait-elle en si grand danger ? Et même souvent assez idiote pour y retourner, alors que personne ne les y oblige et que ces soins ne sont pour la plupart pas remboursés ?

L’A-MCA aussi suspecte

L’A-MCA, d’ailleurs, a droit aux foudres du Cnom. Surtout qu’une tribune, parue dans Le Monde du 13 mars 2021 et signée par un collectif de parlementaires, d’anciens ministres, d’universitaires et de médecins, proposait d’en faire une agence gouvernementale pour structurer et contrôler les médecines complémentaires et alternatives. « La santé de demain intégrera toujours plus les médecines complémentaires », affirment les auteurs de la tribune, soulignant que l’Organisation mondiale de la santé (OMS) encourage leur intégration. Les signataires reconnaissent néanmoins que « le champ des MCA rassemble indistinctement des méthodes validées et sécurisées, insuffisamment éprouvées ou douteuses, voire dangereuses. L’enjeu de santé publique est donc de favoriser l’essor des pratiques bénéfiques, tout en luttant contre les dérives en santé […] Une agence des MCA (A-MCA), réunissant plus de quatre-vingts experts, des chercheurs, médecins, élus, anciens ministres, hauts dirigeants, mais aussi des patients et des soignants, a été créée pour contribuer à structurer ce champ. »

Structurer, contrôler… N’est-ce pas ce que réclame le Cnom ? Pourtant, sans la moindre explication, la section Santé publique de l’Ordre des médecins se dit « vigilante » (traduisez « méfiante ») quant aux travaux de cette agence. Elle demande que soit réactivé, à la place, feu le Groupe d’appui technique sur les PSNC, qui comptait parmi ses membres la Miviludes et l’Union nationale des associations de défense des familles et de l’individu victimes de sectes (UNADFI). Sans doute l’A-MCA n’est-elle pas assez obsédée par les dérives sectaires pour plaire au Cnom ?

Au nom de la science…

Bref, on l’aura compris : l’Ordre des médecins veut faire le ménage, avec des intentions très policières et une tendance à considérer toutes les pratiques non conventionnelles d’abord comme présumées coupables plutôt que comme présumées innocentes, sous prétexte qu’elles ne sont pas reconnues scientifiquement. Mais pourquoi, au lieu de les condamner d’avance, ne pas plutôt exiger que soient menées (de manière sérieuse et indépendante) les études manquantes ? Certaines associations de médecins, comme le Groupe d’évaluation des thérapies complémentaires personnalisées et des pratiques innovantes (Getcop), tentent de proposer des méthodes d’évaluation clinique rigoureuses. Pourquoi ne pas encourager ces initiatives ?

Pourquoi voir systématiquement les approches alternatives comme des ennemies de la médecine dite conventionnelle et non comme un enrichissement de l’éventail thérapeutique mis à la disposition des malades ? « Le risque est d’écarter les patients présentant des pathologies graves des traitements dont l’efficacité a été démontrée, ce qui peut entraîner une perte de chance et un risque vital pour ces patients », indique quasiment chacune des 26 fiches sur les PSNC regroupées en annexe.

Quid des limites de la médecine chimique ?

Dans son billet d’humeur, le Dr Ménat fulmine : « En 30 ans, la moitié des médicaments chimiques qui étaient la norme au début de mon exercice ont disparu, car reconnus comme inefficaces, voire dangereux. Combien de scandales sanitaires à cause de ces mêmes médicaments chimiques qui avaient reçu l’aval de ces mêmes scientifiques qui rejettent avec violence l’acupuncture ou l’homéopathie qui pourtant n’ont jamais tué la moindre personne. Inversement, combien de morts ou d’infirmes à cause du distilbène, de la thalidomide, du médiator ou des opioïdes ? » Pour ne parler que des scandales qui ont éclaté…

Enfin, comme dans tout métier, il peut exister des brebis galeuses, des charlatans, des manipulateurs. Et s’il faut les débusquer, doit-on en faire une généralité et jeter le discrédit sur tous ? Quand un médecin « conventionnel » faute, remet-on en question l’ensemble de la profession ? Par ailleurs, de nombreuses pratiques complémentaires apportent un réel soulagement à des malades, parfois en errance thérapeutique depuis des années et que la médecine conventionnelle n’a su ni guérir ni aider. L’Ordre des médecins sera-t-il prêt un jour à reconnaître les limites de la médecine dite scientifique ? Sera-t-il prêt à mettre réellement l’intérêt du patient, auquel il se dit très attaché, au cœur de ses priorités plutôt que jouer les censeurs et traquer les « hérétiques » ? Il faut l’espérer.

Article par Alexandra Joutel

 

👉 À lire en accès libre notre article consacré à la Miviludes, publié dans le n° 146 de Nexus (mai-juin 2023) :

ARTICLE du mag papier Miviludes et police de la pensée En accès libre

👉 En complément, retrouvez notre interview vidéo du naturopathe Fabien Moine « Médecine et naturopathie pourraient avancer main dans la main » :

ENTRETIEN « On est en train d’appauvrir volontairement la médecine » Fabien Moine, naturopate

👉 Découvrez également la réaction de Fabien Moine à ce rapport du Conseil national de l’Ordre des médecins sur sa chaîne Exuvie TV.

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