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Des moustiques injectés pour lutter contre la dengue

En 2006, des biologistes injectaient dans des moustiques une bactérie vouée à empêcher notamment le virus de la dengue de se propager. En 2023, ce sont douze pays qui ont expérimenté les lâchers de ces moustiques en population réelle. Si les développeurs du projet se réjouissent des résultats obtenus, des inconnues subsistent quant aux éventuelles conséquences sur l’être humain et les écosystèmes sur le long terme.

De l’Australie à douze pays

Dans des laboratoires de l’université d’Antioquia à Medellín, en Colombie, sont élevés par Iván Darío Vélez et son équipe des millions de moustiques destinés à combattre notamment le virus de la dengue. Leur a été injectée la bactérie Wolbachia pipientis, « découverte en 1924, qui infecte 60 % des arthropodes et vit en symbiose avec son hôte ». En 2006, c’est Scott O’Neill, un biologiste étudiant en Australie, qui a introduit cette bactérie dans le moustique Aedes aegypti, vecteur en autres de cette maladie. Avant de fonder l’ONG Word Mosquito Program, aujourd’hui basée en France, dont les travaux sont financés à hauteur de 185 de millions de dollars par la Fondation Gates depuis 2010, Scott O’Neill a mené le premier lâcher de moustiques en Australie en 2011. En Colombie, des essais ont eu lieu entre 2015 et 2019 à Medellín, Bello et Cali. D’autres essais ont été menés ailleurs, notamment au Brésil, en Indonésie ou en Nouvelle-Calédonie.

La bactérie Wolbachia peut agir de deux façons : la première par l’accouplement d’un mâle porteur avec une femelle non porteuse qui empêchera les œufs d’éclore. Deuxième possibilité qui elle ne réduira pas la population de moustiques : les œufs d’une femelle porteuse contiendront automatiquement la bactérie, peu importe que le mâle reproducteur soit porteur ou non, et donneront donc naissance à des moustiques non vecteurs.

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◆ Une méthode OGM ?

Pour Iván Darío Vélez, en Colombie, « il ne s’agit pas de lâcher des moustiques modifiés comme le dit votre question. Il s’agit de moustiques qui n’ont subi aucune manipulation génétique ou biologique, dans lesquels seule la bactérie d’un autre insecte, la drosophile, a été transmise à l’Aedes aegypti ; il ne s’agit donc pas de moustiques génétiquement modifiés. » Mais pour d’autres chercheurs, la réponse n’est pas si simple. Frédéric Jourdain expliquait à Inf’OGM : « Il y a […] une certaine forme de manipulation génétique avec la stratégie Wolbachia qui consiste à introduire une bactérie exogène par des techniques humaines. […] En laboratoire, les chercheurs récupèrent des œufs de drosophiles infectées par Wolbachia, ils prélèvent le cytoplasme de l’œuf et l’injectent dans un œuf d’A. aegypti. Ils considèrent que cette opération ne modifie pas le génome de l’hôte, ou alors de façon extrêmement négligeable. […] Il arrive que dans la nature la transmission horizontale [d’un gène] d’espèce à une autre arrive depuis des centaines de milliers d’années avec Wolbachia. Et il a été montré que des transferts horizontaux de gène entre la bactérie et l’insecte sont déjà arrivés mais sur des temporalités très longues. À notre échelle, le risque de transfert de gène est proche de zéro et reste un phénomène naturel. »

En 2020, pour le Comité économique, éthique et social (CEES) du HCB (Haut Conseil de biotechnologies), organisme indépendant aujourd’hui dissous, « les moustiques tels que ceux qui sont transinfectés par Wolbachia sont bien inclus dans les moustiques “au patrimoine génétique modifié”. Qu’ils relèvent d’une qualification de “génétiquement modifiés”, qui les inclurait immédiatement dans la réglementation actuelle sur les OGM et donc dans les préoccupations du HCB semble donc a priori avoir été écarté par la saisine [du gouvernement au HCB]. Pourtant, il est très vite apparu qu’on ne peut pas, sur le plan du droit, affirmer qu’il y a une différence clairement identifiée entre “au patrimoine génétique modifié” et “génétiquement modifié”. »

◆ Remplacer et non détruire

Le but de la méthode Wolbachia est de remplacer les populations sauvages par des populations infectées par Wolbachia. D’autres moustiques officiellement OGM sont conçus pour éradiquer des populations de moustiques. Exemple : Target Malaria en Afrique, « consortium de recherche à but non lucratif », qui a créé des moustiques stériles pour lutter contre le paludisme. But de la manœuvre financée elle aussi par la Fondation Gates : que les moustiques OGM s’accouplent avec les femelles sauvages (vecteurs de transmission du parasite responsable du paludisme) pour empêcher leur descendance et la faire disparaître petit à petit. Le premier lâcher a eu lieu en juillet 2019. Nexus posait alors les questions que l’on peut aussi se poser pour les moustiques porteurs de Wolbachia : « Quid des nouvelles maladies que pourraient introduire ces moustiques mutants ? Ou de l’impact de la réduction drastique de cette espèce qui est un maillon de la chaîne animale ? » Pas de réponse à cette question dans la mise à jour de 2023 sur le site Target Malaria, ni un mot sur l’artemisia. En revanche, porteurs d’espoir : les médicaments et les vaccins…

◆ Une méthode présentée comme sûre et efficace

L’ONG World Mosquito Program présente la Wolbachia ainsi : « Cette méthode […] utilise une bactérie sûre et naturelle appelée Wolbachia pour réduire le nombre de personnes qui contractent des maladies transmises par les moustiques telles que la dengue, le Zika, le chikungunya et la fièvre jaune. […] Les preuves toujours plus nombreuses de l’efficacité et de la sécurité de notre méthode […] Nous avons relâché des moustiques porteurs de Wolbachia pour protéger plus de 10 millions de personnes (données de juin 2022). […] Les résultats collectés sur les sites où nos projets ont été menés montrent que l’incidence de la dengue est significativement plus faible dans les communautés protégées avec Wolbachia par rapport aux populations voisines où la méthode n’a pas été déployée. Notre étude épidémiologique de référence la plus récente, faite à Yogyakarta, a montré une réduction de 77 % de l’incidence de la dengue et une réduction de 86 % des hospitalisations pour cause de dengue dans les zones couvertes par la méthode Wolbachia comparé aux zones non couvertes. » À voir sur le long terme si ladite efficacité perdure et si des conséquences imprévues pourront être observées sur les êtres humains, la nature et la chaîne alimentaire. Notons qu’il est déjà arrivé qu’un moustique génétiquement modifié dispersé pour réduire une population engendre un moustique plus robuste comme l’explique Charlie Hebdo.

Iván Darío Vélez assurait au média Usbek & Rika : « L’association entre la bactérie et le moustique est naturelle et il est donc très peu probable qu’apparaissent des conséquences nocives », assure Ivan Velez. « Peu probable » ne veut pas dire « impossible », et une fois les moustiques lâchés, difficile de revenir en arrière…

◆ La dengue, une maladie terriblement mortelle ?

Si la dengue peut provoquer des fièvres mortelles, mettons en lumière quelques chiffres pour relativiser la situation : selon l’Institut Pasteur, « l’OMS estime à 50 millions le nombre de cas annuels, dont 500 000 cas de dengue hémorragique qui sont mortels dans plus de 2,5 % des cas », soit environ 12 500 décès par an dans le monde… À titre de comparaison, en 2018, on estimait à « 18,1 millions le nombre de nouveaux cas, 9,6 millions par an le nombre de décès par cancer ». L’OMS en 2020 déclarait : « Les maladies non transmissibles représentent désormais 7 des 10 principales causes de décès dans le monde ». Exemples : les maladies cardiaques, le diabète ou Alzheimer.

Soyons rassurés pour l’instant en France métropolitaine : « Le moustique n’est pas, en lui-même, porteur du virus de la dengue, du chikungunya ou du Zika. Il ne peut le transmettre que s’il a piqué, au préalable, une personne déjà infectée. Il n’y a pas, actuellement, d’épidémie de chikungunya, de dengue ou de Zika en France métropolitaine. »

Nous avons interviewé le World Mosquito Program et Iván Darío Vélez, de l’université de Colombie, qui élève les moustiques en laboratoire pour connaître davantage leur parcours, leurs intentions et leur point de vue. Nous partagerons bientôt avec vous le fruit de ces échanges.

 

Article par Estelle Brattesani

👉 Lire notre dossier sur l’artemisia dans notre n° 119 (nov-déc 2018) :

 

 

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