
La plateforme X dénonce l’enquête pénale ouverte contre elle et refuse d’accéder aux demandes du parquet de Paris
Une enquête pénale a été ouverte le 9 juillet dernier par le parquet de Paris contre le réseau social X et ses dirigeants, suspectés d’avoir manipulé l’algorithme de la plateforme à des fins d’ingérence étrangère. Niant ces allégations, l’équipe de X a répondu lundi qu’elle ne donnerait pas l’accès à son algorithme aux autorités françaises et a dénoncé une enquête politique visant à restreindre la liberté d’expression.
◆ « Une menace pour nos démocraties »
Elon Musk a un nouvel ennemi en France. Après Thierry Breton, l’ancien commissaire européen au marché intérieur à qui l’on doit le règlement européen sur les services numériques (Digital Services Act – DSA), c’est au tour du député macroniste Éric Bothorel de lui chercher des noises concernant sa gestion de X (anciennement Twitter), le média social dont le milliardaire est devenu propriétaire en octobre 2022.
En janvier dernier, l’élu des Côtes-d’Armor a fait un signalement à la section J3 de lutte contre la cybercriminalité du parquet de Paris, estimant qu’il y avait eu des modifications visant à biaiser les algorithmes de X et « des interventions personnelles d’Elon Musk dans la gestion de sa plateforme » qui constituent, selon lui, « une menace pour nos démocraties ».
◆ Les soutiens d’Elon Musk aux partis d’opposition en Europe
À cette période, le patron de X avait notamment utilisé son compte personnel pour écrire des messages de soutien à l’AfD, parti anti-UE classé à l’extrême droite en Allemagne, alors que ce pays était en pleine campagne pour ses élections fédérales de février 2025.
Auparavant, Elon Musk avait ostensiblement apporté son soutien sur X au parti d’extrême droite britannique Reform UK et à son dirigeant, Nigel Farage, lors de la campagne pour les élections générales de juillet 2024 au Royaume-Uni. Musk avait également pris parti pour l’activiste britannique d’extrême droite Tommy Robinson, après sa condamnation en octobre 2024 pour avoir enfreint une décision de justice de 2021 lui interdisant de réitérer ses propos diffamatoires envers un jeune réfugié syrien.
◆ Deux signalements au parquet de Paris
De nombreux observateurs ont considéré que les posts de Musk, lui-même en campagne pour Donald Trump en 2024, étaient devenus très (trop) visibles, vraisemblablement propulsés par un algorithme œuvrant en sa faveur et lui donnant le pouvoir d’influencer les électeurs, non seulement des États-Unis, mais aussi d’autres pays.
C’est dans ce contexte qu’Éric Bothorel a fait son signalement au parquet de Paris, qui a par ailleurs reçu un second signalement émanant « d’un haut responsable d’une institution publique française » (dixit la procureure de Paris, Laure Beccuau). D’après Politico, ce second signalement reproche à X d’offrir « une énorme quantité de contenus politiques haineux, racistes, anti-LGBT et homophobes, qui visent à biaiser le débat démocratique en France ».
◆ Suspicion d’algorithme biaisé à des fins d’ingérence étrangère
Le 7 février 2025, une enquête a donc été ouverte par la section J3 du parquet de Paris. Rappelons que l’information judiciaire ouverte le 8 juillet 2024 à l’encontre de Pavel Durov, le patron de Telegram, et ayant abouti à son arrestation sur le sol français en août 2024, faisait déjà suite à une enquête préliminaire menée par la section J3.
⇒ Lire notre article du 30/08/2024 :
Concernant X, les investigations de la section J3 ont mené à l’ouverture d’une enquête pénale, le 9 juillet dernier, contre la société américaine et ses dirigeants. Ceux-ci sont suspectés d’avoir biaisé l’algorithme de X « à des fins d’ingérence étrangère », indique France Info. Confiée à la gendarmerie nationale, cette enquête pénale porte, entre autres, sur les infractions d’« altération du fonctionnement d’un système de traitement automatisé de données en bande organisée », ainsi que d’« extraction frauduleuse de données d’un système de traitement automatisé de données en bande organisée ».
◆ Une enquête politique visant à museler la liberté d’expression, selon X
Dans un post publié ce lundi 21 juillet, l’équipe de X chargée des « Affaires gouvernementales mondiales » a répondu que « X nie catégoriquement ces allégations » et dénonce une enquête « politiquement motivée », qui « porte gravement atteinte au droit fondamental de X à une procédure équitable et menace le droit de nos utilisateurs à la vie privée et à la liberté d’expression ».
La plateforme indique notamment qu’elle ne cèdera pas aux demandes des autorités françaises d’accéder à son algorithme de recommandation et aux données en temps réel sur tous les messages de ses utilisateurs, afin que ces éléments soient analysés par des experts.
◆ Les autorités françaises auraient choisi des experts partiaux
« L’un de ces “experts” est David Chavalarias [chercheur au CNRS, NDLR], qui est le fer de lance de la campagne “Escape X”. Anciennement connue sous le nom de “HelloQuitteX”, cette campagne se consacre à encourager les utilisateurs de X à quitter la plateforme. Un deuxième “expert”, Maziyar Panahi [ingénieur en informatique et chef de projet au CNRS, NDLR], a déjà participé à des projets de recherche avec David Chavalarias qui font preuve d’une hostilité ouverte à l’égard de X. La participation de ces personnes suscite de graves préoccupations quant à l’impartialité, à l’équité et aux motivations politiques de l’enquête », souligne l’équipe de X.
◆ Critique de la qualification de « bande organisée »
La qualification des infractions en « bande organisée » fait également réagir les dirigeants de la société. « Cette qualification, qui est généralement réservée aux cartels de la drogue ou aux groupes mafieux, permet à la police française de déployer des pouvoirs d’enquête étendus en vertu de la législation française, y compris l’écoute des dispositifs personnels d’employés de X », s’insurgent-ils.
« À ce stade, toute entreprise technologique peut être déclarée “bande criminelle” en France », a commenté de son côté Pavel Durov, toujours assigné à résidence en France depuis son arrestation de l’été dernier. « Une décennie d’efforts pour attirer les investissements technologiques est ainsi annulée par quelques bureaucrates qui font progresser leur carrière et leurs programmes politiques – aux dépens du peuple français », a-t-il ajouté.
◆ Éric Bothorel rappelle les limites à la liberté d’expression
Éric Bothorel a, pour sa part, réagi en adressant une lettre à X et à Elon Musk, où il rappelle la séparation des pouvoirs en France : « Un élu porte plainte, la justice s’en saisit et l’élu ne commande pas la justice. Il ne remplace pas le procureur ou il ne lui donne pas d’ordre. » De même, l’enquête a été confiée à la gendarmerie nationale, « et là encore, c’est étonnant, ironise-t-il, mais les forces de l’ordre ne sont pas aux ordres. En tous les cas, pas aux miens. » À chacun de juger de la réalité de la séparation théorique de ces pouvoirs dans les faits…
Quant à la liberté d’expression, le député des Côtes-d’Armor rappelle que, depuis 1789 en France, « tout citoyen peut parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi ». La question est donc : « Abusez-vous de cette liberté pour la pervertir ? Vos algorithmes sont-ils dopés à la kétamine ? Sont-ils devenus naturellement climato-sceptiques ? Se sont-ils unis, comme par enchantement, à faire que Grok4 commence à rapidement générer des discours antisémites, néonazis et conspirationnistes, se qualifiant lui-même de “Mecha-Hitler” ? »
◆ « Nul n’est au-dessus des lois »
Enfin, Éric Bothorel conseille à X de « répondre à la justice car, en France, “nul n’est au-dessus des lois” ». Il rappelle également que dans l’Union européenne, l’article 40 du fameux règlement sur les services numériques (DSA), en vigueur depuis octobre 2022, oblige les fournisseurs des très grandes plateformes en ligne à donner à la Commission européenne, sur « demande motivée » et « dans un délai raisonnable spécifié », l’accès aux données nécessaires pour contrôler et évaluer le respect dudit règlement par ces plateformes. Ce que X s’est toujours refusé à faire, au grand dam de Thierry Breton. Le bras de fer se poursuit donc désormais à l’échelon français, avec Éric Bothorel.
Article par Alexandra Joutel
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