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Mort d’un joggeur en Bretagne à cause des algues vertes : l’État reconnu en partie responsable et condamné

Le 24 juin 2025, la cour administrative d’appel de Nantes a rendu une décision inédite en établissant la responsabilité partielle de l’État dans la mort de Jean-René Auffray, joggeur décédé en 2016 dans une vasière envahie d’algues vertes à Hillion (Côtes-d’Armor). Saluée comme une victoire judiciaire historique par les proches et les militants écologistes, cette décision marque un tournant dans la lutte contre les marées vertes en Bretagne.

Une intoxication mortelle au cœur de l’affaire

Le 8 septembre 2016, Jean-René Auffray, 50 ans, adepte de course à pied, est retrouvé mort dans l’estuaire du Gouessant, à Hillion (Côtes-d’Armor). L’autopsie avait révélé un œdème pulmonaire massif et foudroyant.

Dans son arrêt rendu le 24 juin 2025, la cour administrative d’appel de Nantes a conclu que ce décès « ne pouvait s’expliquer autrement que par une intoxication mortelle par inhalation d’hydrogène sulfuré à des taux de concentration très élevés », gaz extrêmement toxique libéré lors de la décomposition des algues vertes en milieu vaseux.

Une faute reconnue de l’État à hauteur de 60 %

La cour administrative d’appel a retenu la « responsabilité pour faute de l’État » en raison de carences dans l’application des réglementations environnementales européennes et françaises, censées prévenir la pollution des eaux par les nitrates d’origine agricole. Cette pollution est identifiée comme la cause principale de la prolifération des ulves (algues vertes) en Bretagne.

Toutefois, la cour a estimé que la victime avait « pris un risque » en courant dans cette zone. L’État est donc jugé responsable à 60 % des conséquences du décès, et doit indemniser les proches à hauteur de plus de 316 000 euros au total.

Des précédents ignorés… jusqu’ici

Selon Reporterre, c’est la première fois qu’une juridiction française établit un lien direct et certain entre un décès humain et la pollution aux algues vertes, après plusieurs cas similaires concernant des animaux – chevaux, chiens, sangliers. Les expertises sur ces animaux avaient déjà révélé des concentrations extrêmement élevées d’hydrogène sulfuré (H₂S), parfois supérieures à 100 ppm, bien au-delà du seuil toxique de 20 ppm.

Cette décision s’appuie notamment sur un rapport de l’Anses de 2011, qui avait lié la mort de 36 sangliers dans la même zone à une intoxication au H₂S. Par ailleurs, les campagnes de surveillance d’Air Breizh mettent régulièrement en lumière des dépassements des seuils sanitaires de ce gaz. Enfin, plusieurs expertises menées par l’Ineris ont contribué à mieux comprendre la dispersion et la concentration de l’hydrogène sulfuré lors de la décomposition des algues, soulignant les risques potentiels pour la santé humaine et animale.

Ces éléments confirment le lien direct entre la pollution aux algues vertes et les risques mortels, tant pour la faune locale que pour les humains.

Manque de signalisation et de prévention

La vasière du Gouessant était connue pour ses émanations toxiques, mais aucun panneau de mise en garde n’était en place lors du drame. Ce défaut de prévention figure parmi les éléments clés retenus par la cour administrative d’appel de Nantes pour engager la responsabilité de l’État dans la mort de Jean-René Auffray. Tant l’association que la famille du joggeur ont dénoncé l’absence de dispositifs suffisants pour informer le public des risques liés à cette pollution.

Capteur H₂S installé en bord de littoral breton : visible sur le site de surveillance d’Air Breizh, notamment pour la saison 2024.

 

« Une victoire collective »

Roswitha Auffray, veuve du joggeur, a salué une « victoire collective » pour tous ceux qui ont mené ce combat judiciaire et écologique. « On espère que ça fera bouger les lignes », a-t-elle confié à Ouest-France.

Maître François Lafforgue, avocat de la famille, a déclaré auprès de l’Agence France-Presse (AFP), repris par plusieurs médias dont Le Monde : « Pour la première fois, une juridiction française retient le lien entre le décès d’une personne et la faute de l’État dans ces affaires d’algues vertes. L’État doit plus que jamais agir efficacement. »

Une pollution agricole persistante

Les marées vertes sont un fléau récurrent en Bretagne depuis les années 1970. Elles sont directement liées aux rejets agricoles riches en nitrates, issus notamment de l’élevage intensif et des engrais azotés. Malgré plusieurs plans de lutte financés par l’État (dont un budget de 130 millions d’euros pour 2022-2027), la situation perdure.

Exemples internationaux de lutte contre les marées vertes

Plusieurs pays ont réussi à freiner la prolifération des algues vertes grâce à des politiques strictes de réduction des nitrates agricoles. Au Danemark, la limitation des engrais azotés a nettement amélioré la qualité de l’eau de la mer Baltique. Aux Pays-Bas, la mise en place de systèmes de filtration des nitrates dans les bassins-versants a permis de limiter la pollution. Aux États-Unis, dans la baie de Chesapeake, un plan global de réduction des apports agricoles a freiné l’eutrophisation, phénomène de dérèglement des écosystèmes aquatiques causé par un excès de nutriments – principalement les nitrates et les phosphates – dans l’eau.

Des solutions à privilégier

Pour lutter efficacement contre les marées vertes, il est donc essentiel d’agir à la source de la pollution en réduisant les rejets agricoles de nitrates. L’association Halte aux marées vertes préconise notamment une meilleure régulation des pratiques agricoles, un soutien renforcé à l’agriculture durable et une surveillance accrue des zones à risque.

Par ailleurs, la mise en place systématique de panneaux de prévention sur les sites sensibles, comme la vasière du Gouessant, permettrait de mieux protéger les populations. Ces mesures, combinées avec une volonté politique affirmée et une mobilisation citoyenne, sont indispensables pour enrayer ce fléau récurrent.

 

Article par Estelle Brattesani

 

(Image de couverture : Flickr)

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