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Ethan McCord, l’ancien soldat américain qui milite contre la guerre

En 2010, grâce à l’officier américain Bradley Manning et à la plateforme WikiLeaks fondée par Julian Assange, la vidéo classée à l’origine secret défense « Collateral Murder », qui démontre un crime de guerre perpétré par l’armée des États-Unis en 2007 contre des civils à Bagdad, est diffusée dans les médias américains. Un soldat américain, Ethan McCord, qui se trouve devant son écran, s’y reconnaît en train de courir et de porter secours à un enfant. Des souvenirs douloureux lui reviennent alors et viennent confirmer la décision qu’il a prise en 2009, celle de quitter l’armée. Celui qui s’était mis en tête depuis ses neuf ans de faire carrière dans l’armée a complètement changé : « Le fait d’aller en Irak et d’avoir affaire à l’armée a complètement changé ma vision des choses », résume-t-il. Depuis, il milite contre la guerre.

◆ Une bévue assortie d’un crime

12 juillet 2007 : des soldats américains à bord d’un hélicoptère Apache qui surveillent un quartier de Bagdad tirent sur un groupe de civils en train de guider deux journalistes de l’agence Reuters munis d’appareils photographiques que les militaires auraient pris pour des armes. Tombent à terre plusieurs personnes, dont le photographe Namir Noor-Eldeen et son assistant Saeed Chmagh. Une camionnette arrive ensuite, avec à bord deux enfants et deux hommes qui tentent immédiatement de porter secours aux blessés. Le pilote de l’hélicoptère parle d’une menace imminente et obtient à nouveau l’autorisation de tirer sur eux. Les adultes n’en réchappent pas et les deux enfants sont blessés. Pourtant, à ce moment-là, la vidéo de l’événement étant classée secret défense et inaccessible aux médias et au public, l’armée américaine déclare que les tirs se sont « produits dans le cadre d’une fusillade avec des insurgés », comme le relaie le Nouvel Obs. 5 avril 2010 : la vidéo qui a fuité via la plateforme WikiLeaks est diffusée auprès du grand public et démontre que la vérité n’était pas si « simple ».

◆ Un soldat qui ouvre les yeux

Un soldat présent sur les lieux en juillet 2007 pourra également attester ce qui s’est réellement passé. Lui qui avait voulu intégrer l’armée pour « faire le bien » et aller en Irak pour protéger le peuple irakien est tombé de bien haut. Dans le documentaire Assange, le prix de la vérité, Ethan McCord témoigne : « J’étais parmi les six soldats qui se sont mis à courir vers les lieux de l’incident. Je n’avais jamais vu une chose pareille. Au coin de la rue, j’ai d’abord remarqué ce qui ressemblait à trois hommes, entièrement déchiquetés par des balles de 30 mm. Ça m’a semblé surréaliste, comme une scène d’un mauvais film d’horreur. » Le soldat repère les deux enfants blessés. « Au début, je croyais que le gamin était mort […] Quand je suis retourné à la camionnette, il a respiré brièvement. C’est là que j’ai crié “le garçon est vivant, le garçon est vivant ! Je l’ai attrapé et j’ai couru vers le char.” » Il déclare avoir également enlevé des bouts de verre éparpillés dans les yeux de la petite fille pour éviter qu’elle ne se les abîme davantage.

Ce jour a été un véritable déclic pour Ethan McCord : « Après ce jour, je ne pouvais plus justifier ce que je faisais en Irak. Je suis devenu très en colère contre la guerre et la mort d’innocents. Je ne me suis pas engagé pour cela dans l’armée. » Aujourd’hui, il lui semble complètement absurde et impossible de vouloir imposer la paix ou la démocratie à un peuple par les armes…

◆ Des traumatismes sous-estimés et non pris en considération

Ethan McCord a tenu en tant que soldat jusqu’en 2009 malgré son stress post-traumatique que ses supérieurs ont souvent balayé par de mauvaises blagues, des moqueries ou des menaces indirectes. Comme il l’explique dans un entretien de 2010, « je n’ai pas pu en parler, pu obtenir de réponses sur ce que je ressentais, sur les raisons pour lesquelles nous faisions cela, sur ce que nous faisions ici. On me disait tout simplement : “Tu vas faire ça et tu vas te taire” », alors que pour lui « les soldats ne sont pas des drones sans cervelle. Ils ont des sentiments. Ils ont des émotions. On ne peut pas leur faire faire quelque chose sans leur dire pourquoi on le fait. Et la pression monte. C’est comme si vous montriez un énorme signe de faiblesse en ayant besoin de parler de certaines choses ou de demander de l’aide, même pour aller dormir. On craint d’être réprimandé ou tourné en dérision. On finit donc par s’automédicamenter avec de l’alcool. Et comme vous le savez probablement, l’alcool ne fait qu’aggraver la situation. »

◆ Des cocottes-minutes ambulantes

Lorsqu’il est rentré chez lui, il a finalement été hospitalisé dans un institut psychiatrique par l’armée en raison de ses problèmes de syndrome post-traumatique et d’« automédication ». Et lors du visionnage inattendu de la vidéo en 2010, « les cauchemars ont recommencé, la colère, le sentiment d’avoir été utilisé. Tout est revenu. […] Dans la vidéo, on entend l’équipage de l’hélicoptère Apache tenir des propos déchirants et froids. Je me sens coupable de cela aussi. Nous le sommes tous. C’est une sorte de mécanisme d’adaptation. Sur le moment, on se sent mal pour ce qu’on a fait et on fait passer ses émotions au second plan. C’est ce que l’armée vous apprend à faire. Et dans un sens, ça marche. Cela vous aide à surmonter les moments difficiles. Mais malheureusement, il n’y a plus d’exutoire pour cela, une fois que vous avez quitté l’armée. Lorsque vous rentrez chez vous, il n’y a personne avec qui plaisanter, personne à qui parler de ces situations. Qu’arrive-t-il à ce soldat ? Il va exploser. Et lorsqu’il explose, c’est plus que probablement à sa famille, ses amis proches ou lui-même qu’il s’en prend. Je pense donc que c’est la raison pour laquelle les soldats finissent par se suicider. »

« À plusieurs reprises, j’ai eu l’impression que je ne pouvais plus supporter ce qui se passait dans ma tête et que la meilleure chose à faire serait de me tirer une balle dans la tête. Mais chaque fois que j’y pensais, je regardais les photos de mes enfants et je repensais à ce jour, à la façon dont le père de ces enfants leur avait été enlevé et à l’horreur que cela devait représenter pour eux. Et si je faisais cela, je mettrais mes enfants dans la même situation. »

◆ L’ère de la réconciliation et du pardon

Se supprimer, il ne l’a pas fait. Au lieu de cela, il a milité contre la guerre, comme lors de la Conférence nationale pour la paix à Albany, dans l’État de New York, le 24 juillet 2010.

Il a écrit avec un autre ancien membre de la compagnie, Josh Stieber, une « lettre de réconciliation » ouverte au peuple irakien, dans laquelle ils assument la responsabilité de leur rôle dans cet incident et dans d’autres actes de violence. Dans cette lettre, ils déclarent : «  nous reconnaissons notre rôle dans la mort et les blessures de vos proches. » Ils insistent sur le fait que « les actes décrits dans cette vidéo sont des événements quotidiens de cette guerre : c’est la nature même des guerres menées par les États-Unis dans cette région ». Suite à cette lettre qui a été montrée à la famille des deux enfants blessés, la veuve du père de ces enfants a déclaré être très heureuse de voir le travail que Josh et Ethan faisaient et leur avoir pardonné.

En 2023, dans une vidéo touchante, on voit le garçon sauvé en 2007 par Ethan McCord qui a grandi et qui lui aussi déclare ne pas en vouloir à Ethan, encore très ému à l’évocation de leur sanglante interaction.

◆ Un travail d’équipe

Avant de conclure, n’oublions pas d’avoir une pensée également pour Julian Assange, tout récemment libéré, qui a passé des années en prison pour avoir relayé des documents confidentiels via sa plateforme WikiLeaks fondée en 2006 et destinée à recevoir des documents de lanceurs d’alerte en protégeant leur anonymat. Ainsi que pour le jeune soldat de 22 ans Bradley Manning (devenu Chelsea Manning depuis), chargé de classer des documents militaires, affecté aux renseignements militaires, qui a fait fuiter la vidéo sur WikiLeaks ainsi que des milliers d’autres documents, pour alerter le public. Dénoncé par le hacker Adrian Lamo à qui il s’est confié, il a passé des années en prison et a tenté plusieurs fois de se suicider.

Article par Estelle Brattesani

(Image principale tirée du documentaire Julian Assange, le prix de la vérité)

⇒ Lire notre dossier « 11-Septembre : où sont passées les tours » dans notre n° 152 (mai-juin 2024) :

⇒ Lire notre article intégral « Propagande et manipulation, les clés du discernement » paru dans Nexus n° 136 (sept.-oct. 2021) que nous avons mis en accès libre, en cliquant sur l’image ci-dessous :


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