
Yann Leroy et la permaculture : réparer le lien au vivant, cultiver l’avenir
Yann Leroy, ex-géologue de 38 ans, a changé de cap pour se consacrer à la permaculture. Il milite aujourd’hui pour une transformation en profondeur de nos modes de production et de vie, au service de la Terre, des humains et des générations à venir.
Nexus : Pouvez-vous présenter brièvement et résumer votre parcours ?
Yann Leroy : Je m’appelle Yann Leroy, je vis en Vendée et suis actuellement designer en permaculture.
Guidé depuis toujours par une curiosité profonde pour le vivant, la nature et son fonctionnement, j’ai d’abord exploré la géologie et la géophysique, participant à des projets d’envergure en France et à l’étranger. De retour en Vendée, j’ai poursuivi mon parcours dans une entreprise d’études géotechniques, contribuant à la construction de maisons individuelles.
Mais au fil des années, le constat était clair : nos aménagements, souvent déconnectés du vivant, dégradent les paysages et l’environnement.
En parallèle, je me suis engagé dans des associations tournées vers l’écologie, la génération d’espaces nourriciers et l’intelligence collective. La permaculture, qui croise toutes ces approches, m’a rapidement captivé. Cette discipline totalement en phase avec mes valeurs m’a poussé à me réorienter professionnellement.
C’est ainsi que j’ai créé CULTURE Perma il y a quelques années, un bureau d’études qui accompagne particuliers, professionnels et collectivités dans la conception de lieux durables en conciliant technique, écoute humaine et respect du vivant.
Que signifie le terme « permaculture » ?
À l’origine, le mot permaculture est la contraction des termes « permanent agriculture » (traduit par agriculture permanente). Aujourd’hui la permaculture s’est développée dans le monde entier et sa définition a évolué, dépassant largement le cadre agricole.
La permaculture est, selon ses concepteurs, David Holmgren et Bill Mollison, à la fois une science et un art de concevoir des écosystèmes régénératifs en s’inspirant du fonctionnement du vivant. Sa dimension philosophique inspire la création d’un nouveau paradigme.
Quels sont les principes majeurs de la permaculture ?
La permaculture apporte à la fois des outils de réflexion et de conception basés sur 3 éthiques qui sont Prendre soin de la Terre, Prendre soin de l’humain et Partager équitablement les ressources. Une dizaine de principes de conception ont été définis tels que « observer et interagir », « utiliser et valoriser les services et les ressources biologiques et renouvelables », « le problème est la solution » ou encore « se servir de la diversité et la valoriser ». Ces principes universels peuvent être appliqués à toutes les échelles (du balcon jusqu’à la ville) et dans des domaines très variés : agriculture, éducation, santé, habitat, économie…
Comment en êtes-vous arrivé à cette pratique ?
Adolescent, j’éprouvais déjà un grand plaisir à m’occuper du potager familial. Mais c’est bien plus tard, à un moment de remise en question face aux dérives de notre société, que j’ai découvert la permaculture grâce à des vidéos en ligne. Cette pratique pleine d’espoir, qui allie savoirs ancestraux et techniques modernes tout en adoptant une philosophie centrée sur le vivant, m’a immédiatement fasciné et a ravivé mon désir de mettre les mains dans la terre. Depuis, j’ai dévoré de nombreux livres, visionné des centaines d’heures de vidéos et expérimenté tant dans mon jardin qu’auprès d’associations, ce qui m’a permis de confronter différentes approches. C’est ce cheminement qui m’a naturellement conduit à en faire mon métier.
Quelles sont les grosses différences entre ce type d’agriculture et l’agriculture industrielle ?
La permaculture s’inscrit dans une logique d’agriculture régénératrice : elle vise à créer des écosystèmes durables, riches en biodiversité, qui produisent de la nourriture tout en renforçant la santé du sol et du vivant. Elle privilégie la polyculture et l’élevage intégrés, en valorisant les interactions positives entre les plantes, les animaux et les humains. La faune et la flore spontanées y sont perçues comme des alliées pour atteindre un équilibre naturel.
À l’inverse, l’agriculture industrielle repose sur la monoculture intensive, souvent accompagnée d’intrants chimiques, et considère les espèces non cultivées comme des nuisibles. Elle poursuit une logique de rendement et de profit à court terme, en appliquant des modèles standardisés, déconnectés des spécificités locales.
Résultat : là où la permaculture régénère les sols et les écosystèmes, l’agriculture industrielle tend à les appauvrir, créant des milieux dégradés dépendant d’interventions extérieures.
Est-ce qu’on pourrait nourrir toute la planète en permaculture, selon vous ? Y aurait-il assez de rendement ?
Bien sûr, nourrir la planète avec des systèmes inspirés de la permaculture est possible, si l’on change d’échelle, de logique, et de rapport au vivant.
D’ailleurs, de nombreuses études indiquent que les agricultures paysannes et écologiques sont aujourd’hui les mieux placées pour nourrir durablement la planète, en particulier dans un contexte d’instabilité météorologique, de raréfaction des ressources et d’érosion des sols.
En France, la ferme du Bec Hellouin, en Normandie, a mené avec l’Inrae et AgroParisTech une étude sur le maraîchage permaculturel intensif. Sur seulement 1 000 m², elle a produit 55 à 60 kg de légumes par semaine, soit environ 7 tonnes par an.
Ce modèle démontre qu’il est possible d’atteindre des rendements viables, voire supérieurs à ceux de l’agriculture conventionnelle sur petites surfaces, tout en régénérant les sols et en favorisant la biodiversité.
Peut-on avoir un jardin en permaculture et ne pas avoir à y travailler chaque jour d’arrache-pied en se cassant le dos pour avoir de bonnes récoltes ?
Même si la mise en place demande un peu d’effort au départ, un bon design permet de créer un jardin vraiment adapté à la personne qui l’utilise. Il prend en compte ses ressources, ses contraintes, mais aussi ses envies.
Par exemple, quelqu’un qui a peu de temps ou des limites physiques peut choisir de cultiver des plantes peu exigeantes. Il ou elle peut aussi faire appel à un voisin sans jardin, en échange de quelques conserves, de légumes frais ou d’une bonne tarte maison. Tout est question de contexte et de bon sens partagé.
Exemple concret : comment faites-vous pour que les gastéropodes ne dévorent pas votre jardin ?
En permaculture, on ne cherche pas à éradiquer les limaces ou les escargots, mais à rétablir un équilibre dans lequel ils n’ont plus une place dominante. Ce sont en réalité des recycleurs très utiles au jardin. Leur prolifération signale souvent un excès de matière organique ou un manque de prédateurs.
Pour réguler leur présence, je recommande de favoriser la biodiversité et les habitats pour leurs prédateurs naturels : tas de bois, pierres, haies, mares… tout cela attire carabes, crapauds, hérissons ou oiseaux insectivores. Si le contexte le permet, on peut aussi introduire des canards, grands amateurs de limaces !
De mon côté, lors des semis et des plantations, je retire temporairement le paillage qui leur offre un abri idéal juste à côté de mes jeunes pousses. Et cette année, je teste une astuce : j’utilise du fil électrique récupéré que je dénude pour former de petits anneaux de cuivre autour de la base de mes plants. Pour l’instant, ça fonctionne plutôt bien, et je pourrai les réutiliser en fin de saison.
Ou en cas de mildiou ?
L’idée générale, c’est d’abord de prévenir plutôt que de guérir.
Le mildiou est un champignon qui se développe surtout en conditions humides et sur des plantes affaiblies.
Pour l’éviter, on mise sur des associations de plantes complémentaires, une bonne aération et un sol vivant qui nourrit les cultures en profondeur. Il est aussi utile de choisir des variétés naturellement plus résistantes, d’éviter d’arroser le feuillage et de modérer les apports azotés comme de l’herbe de tonte, du fumier ou des épluchures, qui rendent les feuilles plus fragiles.
De mon côté, j’arrose abondamment au moment de la plantation, puis je limite fortement les arrosages pour encourager un enracinement profond et réduire l’humidité en surface (sauf en cas de forte sécheresse prolongée).
Et si le mildiou commence malgré tout à apparaître, je recommande de retirer et éloigner rapidement les parties atteintes pour éviter la propagation. On peut aussi renforcer les plantes avec des préparations naturelles comme la décoction de prêle ou le purin d’ortie.
La permaculture est-elle enseignée dans les formations en agriculture nationales ? Pourquoi selon vous ?
Actuellement, la permaculture n’est pas intégrée dans les formations agricoles nationales. On y retrouve parfois quelques notions proches, comme la gestion durable des sols, la diversification des cultures ou certains principes agroécologiques, mais ces éléments restent marginaux et souvent portés par des initiatives individuelles.
L’approche de la permaculture, à la fois systémique, éthique et multidisciplinaire, entre en rupture avec la vision productiviste, mécanisée et spécialisée qui domine l’agriculture conventionnelle. Elle remet profondément en question le modèle économique des grands acteurs de l’agro-industrie, qui continuent de bénéficier de soutiens importants, aussi bien au niveau gouvernemental que local. Ces acteurs disposent encore de moyens considérables pour décrédibiliser ou freiner la transition vers des modèles agricoles plus résilients et respectueux du vivant.
Cela dit, les choses évoluent. Face aux défis croissants liés à l’effondrement de la biodiversité et à la souveraineté alimentaire, l’intérêt pour la permaculture grandit. Des enseignants engagés, des établissements avant-gardistes, ainsi que des structures comme Fermes d’Avenir ou des fermes expérimentales, œuvrent pour faire une place à ces approches dans la formation agricole. Des modules d’initiation, des interventions extérieures et des formations parallèles commencent à émerger ici et là, annonçant une transition en cours.
La permaculture est-elle forcément bio ? Y a-t-il parfois des compromis à trouver avec certains produits ou techniques parfois non biologiques ?
La permaculture n’est pas un label, mais une démarche globale qui repose sur les trois grands principes éthiques cités précédemment. Dans cet esprit, elle s’inscrit naturellement dans une dynamique agroécologique et sans intrants chimiques de synthèse, donc compatible avec les pratiques de l’agriculture biologique… mais elle va plus loin.
Cela dit, elle n’est pas dogmatique, elle invite à faire des choix éclairés, éthiques et adaptés au contexte, toujours dans une logique de respect du vivant et de régénération des écosystèmes.
Par exemple, face à une problématique ponctuelle, un(e) permaculteur(rice) pourra parfois envisager un compromis technique, à condition que cela ne compromette pas le vivant sur le long terme et que ce choix soit fait de manière consciente, transitoire et responsable. Par exemple l’utilisation ponctuelle du bâche en plastique opaque sur des futures planches de culture pour désherber et préparer un sol plus fertile. À terme, cette bâche pourra être remplacée par un paillage ou des engrais verts.
Comment, selon vous, donner envie dès le plus jeune âge aux enfants de respecter la terre et ce qu’elle produit ?
Pour donner envie aux jeunes de respecter la Terre, il faut avant tout leur permettre de vivre des expériences concrètes et sensibles avec la nature. Créer un potager à l’école, participer à des chantiers collectifs, partir en balade en forêt… Ce sont ces moments d’émerveillement qui forgent un attachement profond et durable au vivant. En parallèle, il est important de montrer, sans culpabiliser, les conséquences des mauvais traitements infligés à la nature. Quand les enfants comprennent que chaque action a un impact (positif ou négatif), ils deviennent plus conscients, et donc plus responsables.
En les rendant acteurs et curieux, on leur donne envie de prendre soin du vivant.
Y a-t-il un lien entre la permaculture et le développement personnel selon vous ?
Absolument ! La permaculture, ce n’est pas seulement du jardinage, c’est une éthique, une façon de penser et d’agir en cohérence avec le vivant, y compris avec soi-même.
On ne peut pas concevoir un lieu durablement fonctionnel sans que la personne qui le porte soit alignée avec ce qu’elle souhaite vraiment y vivre.
C’est pourquoi l’une des premières étapes d’un projet en permaculture, c’est une observation sincère de ses besoins, de ses limites et de ses motivations profondes.
Le lien avec le développement personnel est donc évident. Des outils comme l’ikigai, qui aide à trouver l’équilibre entre ce qu’on aime, ce qu’on sait faire, ce dont le monde a besoin et ce qui peut nous faire vivre, sont d’ailleurs très utiles dans ce cadre.
Que proposez-vous aujourd’hui comme services ?
J’accompagne particuliers, professionnels et collectivités dans la création d’espaces durables et éthiques, conçus sur mesure en lien avec leurs besoins et leur environnement, grâce aux principes de la permaculture.
Mes prestations sont modulables : elles peuvent inclure un diagnostic complet du lieu et des porteurs de projet, un rapport de design détaillé, avec plusieurs propositions concrètes et plans d’aménagement co-construit, ou encore un accompagnement à la mise en œuvre avec suivi.
Je propose aussi des conférences et formations pour faire découvrir les bases de la permaculture et ses multiples applications.
Voulez-vous ajouter quelque chose ?
Un jour, j’ai vu une vidéo dans laquelle Claude Bourguignon partageait une phrase marquante, citée d’une directrice d’école en biodynamie. À ses élèves, elle disait :
« Il faut perdre ses illusions, gagner en lucidité (sans sombrer dans le cynisme) puis rayonner l’espoir. »
Cette phrase m’est restée. La permaculture me donne justement cet espoir, et je fais ma part pour qu’il continue de rayonner.
Propos recueillis par Estelle Brattesani
⇒ Le CULTURE Perma de Yann Leroy
⇒ Sa page Facebook
⇒ Son compte Instagram
⇒ Son profil LinkedIn
⇔ Lire notre article « Moulin Astrié : la quête de la farine complète » dans notre n° 158 (mai-juin 2025) :
⇔ CHERS LECTEURS, L’INFO INDÉPENDANTE A BESOIN DE VOUS !
Nexus ne bénéficie d’aucune subvention publique ou privée, et ne dépend d’aucune pub.
L’information que nous diffusons existe grâce à nos lecteurs, abonnés, ou donateurs.
Pour nous soutenir :
1️⃣ Abonnez-vous
2️⃣ Offrez Nexus
3️⃣ Commandez à l’unité
4️⃣ Faites un don sur TIPEEE ou sur PAYPAL
✅ Découvrez notre dernier numéro
Et gardons le contact :